ACTUALITÉ
SOCIAL
Différer le dépôt de la DSN en cas de décalage de paie suppose d’informer préalablement l’Urssaf
Selon le Code de la sécurité sociale, la déclaration sociale nominative (DSN) doit être adressée le mois suivant la période de travail au titre de laquelle les rémunérations sont dues, au plus tard, le 5 de ce mois pour les employeurs dont l’effectif est d’au moins 50 salariés et dont la paie est effectuée au cours du même mois que la période de travail ou le 15 de ce mois dans les autres cas. Pour les entreprises d’au moins 50 salariés pratiquant le décalage de paie, la DSN peut donc être envoyée le 15 du mois. La Cour de cassation était toutefois interrogée pour savoir si un tel décalage de la paie emportait automatiquement le décalage de l’envoi de la DSN ou s’il importait au contraire à l’employeur d’informer au préalable l’Urssaf.
Dans cet arrêt du 5 septembre 2024, l’Urssaf avait considéré qu’une société avait procédé à l’envoi tardif de sa déclaration sociale nominative pour les mois de février à juin 2017. L’organisme de recouvrement lui avait alors notifié des pénalités, puis une mise en demeure.
De son côté, la société contestait cette décision dans la mesure où, pratiquant le décalage de paie, elle s’estimait en fait dans les délais. Les juges du fond lui ont donné raison et ont annulé les pénalités. Ils ont condamné l’organisme de recouvrement au remboursement des sommes litigieuses.
L’Urssaf se pourvoit en cassation. Pour l’organisme de recouvrement, il existe une présomption de paiement des salaires au cours du même mois que la période de travail et il appartient à l’employeur de l’informer afin que soit décalée en temps utile la date d’exigibilité de la DSN au 15 du mois suivant et que ne soient pas appliquées des pénalités de retard.
Selon l’article R 243-12 du CSS, une pénalité égale à 1,5 % du montant du plafond mensuel des cotisations de sécurité sociale par travailleur salarié ou assimilé est appliquée, pour chaque mois ou fraction de mois de retard, à l’employeur en cas de défaut de production des déclarations aux échéances prescrites ou en cas d’omission de salariés ou assimilés sur celles-ci. L’obligation s’applique, plus particulièrement, à la déclaration sociale nominative prévue par l’article L 133-5-3 du CSS, laquelle doit être produite à l’appui du versement des cotisations. Les dispositions de l’article R 133-14 du CSS renvoient, en effet, sur ce point à l’article R 243-6 du même Code qui précisent que le versement des cotisations doit intervenir au cours du mois suivant la période de travail au titre de laquelle les rémunérations sont dues, le 5 de ce mois pour les employeurs dont l’effectif est d’au moins 50 salariés et dont la paie est effectuée le même mois que la période d’activité, et le 15 de ce mois dans les autres cas (CSS art. R 243-6, II dans sa version applicable au litige). Cette dernière formule s’applique non seulement aux employeurs dont l’effectif est inférieur à 50 salariés, mais également aux employeurs qui emploient au moins 50 salariés dans l’hypothèse où la rémunération afférente à un mois déterminé n’est pas versée au cours de ce même mois, mais le mois suivant.
Ce cadre posé, le décalage de la paie emportait-il le décalage de l’envoi de la déclaration sociale nominative ? La Cour de cassation répond à la question par l’affirmative tout en assortissant la faculté ainsi ouverte à l’employeur d’une condition bien précise : il importe que ce dernier ait informé au préalable l’organisme de recouvrement du décalage des opérations de versement de la rémunération aux salariés de l’entreprise. À défaut, l’employeur s’expose aux pénalités prévues en cas de retard ou d’omission dans les déclarations et productions auxquelles il est tenu.
A noter : La solution retenue confirme, si besoin était, l’importance accordée par le droit des cotisations sociales à l’exigibilité de ces dernières. Certes, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, complétée par celle pour 2024, a entendu modifier le fait générateur des cotisations. Alors que ce dernier procédait antérieurement du versement effectif de la rémunération au salarié, il est déterminé à présent, au terme d’une formule non dépourvue d’ambiguïté, par la période d’activité au titre de laquelle les revenus d’activité sont attribués (CSS art. L 242-1, I). Le régime juridique de la dette de cotisation n’en demeure pas moins tributaire, avant tout, du versement de la rémunération, lequel détermine, en particulier, l’exigibilité des cotisations. C’est dans cette perspective que s’inscrit la solution retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, alors même qu’elle reprend sur la question du décalage de la paie et de ses effets sur les obligations déclaratives de l’employeur, la position prise en son temps par la chambre sociale (Cass. soc. 11-2-1981 no 79-12.869 P et 79-16.375 P : Bull. civ. V no 124 ; Cass. soc. 12-6-1981 no 79-13.043 P : Bull. civ. V no 549).
Clé USB personnelle : un mode de preuve illicite mais justifiable par le droit à la preuve
Dans un arrêt destiné à une large publication, la Cour de cassation se prononce sur la recevabilité de la preuve de faits fautifs obtenue à partir de l’examen de clés USB personnelles. Une salariée, assistante commerciale, est licenciée pour faute grave pour avoir copié, sur plusieurs clés USB trouvées dans son bureau par l’employeur, de nombreux fichiers de l’entreprise, dont certains relatifs à des données de fabrication, auxquels elle n’avait pas accès dans le cadre de ses fonctions. Elle conteste principalement la licéité du contrôle de l’employeur sur le contenu de ces clés USB personnelles, dont celui-ci alléguait qu’elles se trouvaient dans le bureau de la salariée, mais pas connectées à l’ordinateur professionnel, même si elles avaient pu l’être par le passé.
La chambre sociale de la Cour de cassation affirme, sur le fondement de l’article L.1121-1 du code du travail, que l’accès par l’employeur, hors la présence du salarié, aux fichiers contenus dans des clés USB personnelles, qui ne sont pas connectées à l’ordinateur professionnel, constitue une atteinte à la vie privée du salarié. Par conséquent, ce mode d’obtention d’une preuve est illicite.
Cette solution est à rapprocher d’une autre, adoptée une dizaine d’année plus tôt, ayant admis qu’une clé USB, dès lors qu’elle est connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur pour l’exécution du contrat de travail, est présumée utilisée à des fins professionnelles. L’employeur peut donc avoir accès aux fichiers non identifiés comme personnels qu’elle contient, hors la présence du salarié (arrêt du 12 février 2013).
La cour d’appel de Lyon a au contraire jugé que les clés USB trouvées sur le bureau de la salariée ne pouvaient pas être identifiées comme personnelles, s’appuyant sur la jurisprudence selon laquelle les documents détenus par un salarié dans le bureau de l’entreprise sont présumés professionnels de sorte que l’employeur peut en prendre connaissance même sans la présence du salarié, sauf s’ils sont identifiés comme personnels (arrêt du 4 juillet 2012). Et l’avis de l’avocat général devant la Cour de cassation dans cette affaire penchait plutôt dans ce sens, dès lors qu’en l’espèce rien ne permettait de laisser présumer une quelconque destination personnelle des clés USB en dehors de tout signalement spécifique de l’intéressée.
La chambre sociale de la Cour de cassation fait sienne la position de l’Assemblée plénière du 22 décembre 2023 concernant les conditions d’admissibilité d’une preuve illicite. Ainsi, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
La chambre sociale ne recite pas l’attendu de principe de ses propres arrêts récents en la matière concernant la méthode devant être suivie par les juges du fond (arrêt du 8 mars 2023 ; arrêt du 14 février 2024), où elle recommande aux juges en présence d’une preuve illicite, de :
- s’interroger d’abord sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci ;
- rechercher ensuite si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié ;
- apprécier enfin le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.
C’est pourtant bien au travers de cette grille d’analyse que la Cour de cassation procède ici, elle-même, à l’exercice de mise en balance, à partir des constatations faites par les juges du fond. On notera qu’ayant jugé la preuve licite, ces derniers n’ont pas effectué cet exercice.
Ainsi, la cour d’appel a relevé que l’employeur faisait valoir qu’il avait agi de manière proportionnée afin d’exercer son droit à la preuve, dans le seul but de préserver la confidentialité de ses affaires, de sorte que la mise en balance avec le droit à la preuve était bien demandée par une partie.
Elle a ensuite constaté que l’employeur démontrait qu’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le contrôle effectué sur les clés USB, au regard du comportement de la salariée qui, selon le témoignage de deux de ses collègues, avait travaillé sur le poste informatique d’une collègue absente et imprimé de nombreux documents qu’elle avait ensuite rangés dans un sac plastique placé soit au pied de son bureau, soit dans une armoire métallique fermée.
La cour d’appel a ensuite relevé que pour établir le grief imputé à la salariée, l’employeur s’était borné à produire les données strictement professionnelles reproduites dans une clé unique après un tri opéré par l’expert qu’il avait mandaté à cet effet, en présence d’un huissier de justice, les fichiers à caractère personnel n’ayant pas été ouverts par l’expert et ayant été supprimés de la copie transmise à l’employeur, selon procès-verbal de constat d’huissier.
Dès lors, conclut la Cour de cassation, il en ressort que la production du listing de fichiers tiré de l’exploitation des clés USB était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et que l’atteinte à la vie privée de la salariée était strictement proportionnée au but poursuivi, de sorte que les pièces relatives au contenu des clés USB litigieuses étaient recevables.
La lettre de licenciement reprochait à la salariée de s’être connectée sur l’ordinateur de la dirigeante de l’entreprise et celui de sa collègue sans autorisation et d’avoir récupéré des données particulièrement sensibles auxquelles elle n’était pas censée avoir accès, faisant prendre un risque majeur pour l’entreprise de voir ces données « se retrouver dans la nature » sur des clés USB non sécurisées, anéantissant ainsi tous les efforts consentis par l’employeur pour protéger ses données.
La cour d’appel a relevé que la salariée, qui n’avait pas la charge de la fabrication de produits, avait copié de sa propre initiative sur des clés USB lui appartenant, de nombreux fichiers en lien avec le processus de fabrication qu’elle avait l’intention d’emporter avec elle. La Cour de cassation décide que la cour d’appel a pu en déduire que ces faits constituaient une faute grave rendant impossible le maintien dans l’entreprise de la salariée, peu important son ancienneté de 37 années.
Smic, retraite, emploi des seniors, apprentissage : Michel Barnier dévoile sa feuille de route
C’est dans une ambiance chahutée que le Premier ministre a tenu, mardi après-midi, son discours de politique générale devant un hémicycle sans majorité. Un exercice d’équilibriste alors que la gauche prévoit de déposer une motion de censure. Pour préparer sa feuille de route, il avait reçu la semaine dernière les organisations patronales et syndicales.
Sur le volet social, le chef du gouvernement a égrené ses priorités, aux premiers rangs desquelles figure la question du pouvoir d’achat. Il a annoncé une revalorisation du Smic « de 2 % dès le 1er novembre par anticipation de la date du 1er janvier ». Le Smic net mensuel serait ainsi porté à environ 1 426 euros nets, contre 1 398,70 euros actuellement. Ce qui ne signifie pas un coup de pouce mais une avance sur l’augmentation prévue au 1er janvier 2025, soit deux mois avant.
Au passage, il a fustigé la situation de certaines branches professionnelles « dans laquelle les minima ne sont pas acceptables ». « Cela fera l’objet de négociations rapides. L’Etat s’y engage », a-t-il promis.
Selon le dernier pointage du ministère du travail, transmis mardi, 146 branches professionnelles (85 %) ont conclu un accord ou émis une recommandation patronale prévoyant un premier coefficient supérieur ou égal au Smic, applicable à compter du 1er janvier 2024. Mais 25 % des branches (15 %) affichent au moins un coefficient en deçà. Le sujet n’est pas nouveau et plusieurs tentatives ont été entreprises pour inverser la tendance. Dernière en date, le projet de loi annoncé par l’ancien ministre du travail, Olivier Dussopt, pour juin 2024. Lequel prévoyait de calculer les exonérations de cotisations sociales non pas sur la base du Smic, mais sur la base des minima de branche pour celles qui ne sont pas en conformité. Mais le texte est resté lettre morte.
Dans la lignée de Gabriel Attal, qui avait appelé à une « désmicardisation » de la société, le négociateur du Brexit a déploré que les « dispositifs d’allègements de charges freinent la hausse des salaires au-dessus du Smic » tout en promettant de « revoir les dispositifs », mais sans donner plus de détail. Là encore, plusieurs travaux ont été initiés sur ce sujet dont ceux des économistes Antoine Bozio, et Etienne Wasmer, qui observaient, dans un rapport d’étape, en avril dernier, une « surconcentration » croissante des emplois dans une fourchette allant de 1 à 1,6 Smic où se regroupait l’essentiel des allègements. Avec à la clef, un phénomène de « trappes à bas salaires » voire des « trappes à promotions ».
Toujours sur le chapitre du pouvoir d’achat, le Premier ministre souhaite relancer la participation, l’intéressement et l’actionnariat salarié, « et pas seulement dans les grandes entreprises », sans faire référence à la loi Pacte et à la loi sur le partage de la valeur, deux textes ciblés notamment en direction des PME.
L’ex-commissaire européen n’a pas éludé l’épineuse réforme des retraites, adoptée par 49-3 au printemps 2023. Il a invité les partenaires sociaux à reprendre le dialogue pour « corriger certaines limites de loi », en particulier « la question des retraites progressives, de l’usure professionnelle et de l’égalité professionnelle qui mérite mieux que des fins de non-recevoir ». Il a toutefois posé ses conditions : que ces aménagements soient « raisonnables et justes » arguant qu’il est « impératif de préserver l’équilibre durable de nos systèmes par répartition ».
Appelant à un « renouveau du dialogue social », il a ajouté qu’il faisait confiance aux organisations patronales et syndicales pour « négocier dès les prochaines semaines sur l’emploi des seniors et sur notre système d’indemnisation du chômage ». Reste à savoir quel sera le délai de cette négociation et surtout si un objectif d’économies figurera dans la lettre de cadrage. Lors des bilatérales avec Michel Barnier, le 26 septembre, François Asselin, le président de la CPME, avait exprimé ses craintes concernant un document trop « corseté », c’est-à-dire extrêmement contraint en raison de la situation budgétaire.
Si le plein emploi reste un objectif affiché par le nouveau gouvernement, Michel Barnier a reconnu qu’il n’était pas « atteint ». Il compte donc s’appuyer sur les dispositifs existants pour y parvenir, notamment sur l’expérimentation Territoires zéro chômeur qui « donne des résultats ». Mais aussi sur l’accompagnement des allocataires du revenu de solidarité active (RSA) mené par France Travail. Car pour le Premier ministre, le RSA ne doit pas être uniquement un « filet de sécurité » mais bien « un tremplin vers l’insertion ».
Côté formation, il a eu un mot sur l’apprentissage, en appelant à « dépenser mieux » et à éviter les « effets d’aubaine ». Compte-t-il faire des coupes claires dans les aides aux entreprises ? Cette piste avait été évoquée dans la revue des dépenses, préparée par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF), en septembre dernier. Les deux missions estimaient que « le soutien public à l’apprentissage dans l’enseignement supérieur [apparaissait] disproportionné au regard de ses effets sur l’insertion dans l’emploi ». Elles préconisaient ainsi de supprimer la prime à l’embauche pour les niveaux 6 (licence) et 7 (master) au sein des entreprises de 250 salariés et plus. Avec à la clef, 554 millions d’économies potentielles.
A l’issue de son discours d’une heure trente, le Premier ministre n’a pas sollicité de vote de confiance.
Les réactions des partenaires sociaux |
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Si le Medef a salué le discours de « vérité » du Premier ministre, il a toutefois mis en garde le gouvernement, en rappelant que sans une réduction de la dépense publique, « toute contribution supplémentaire des entreprises, nécessairement exceptionnelle et mesurée, serait incompréhensible ». Il se félicite de la perspective de renouer le dialogue social, en indiquant qu’il avait lui-même proposé aux partenaires sociaux de rependre la négociation sur les seniors. Il se dit également prêt à discuter d’aménagements à la réforme des retraites « dès lors qu’ils ne remettent pas en cause l’équilibre du régime ». De son côté, l’Union des entreprises de proximié (U2P) a accueilli favorablement « la volonté du Premier ministre de renouveler le dialogue social et de faire confiance aux partenaires sociaux », en précisant qu’elle sera au rendez-vous de la renégociation des accords sur l’emploi des seniors et sur l’assurance-chômage tout en partageant la nécessité de revenir sur la réforme des retraites « en ce qui concerne la retraite progressive, l’usure professionnelle et l’égalité femmes-hommes ». Elle souhaite que le soutien à l’apprentissage soit confirmé à « l’exception des effets d’aubaine que la prime a pu créer en l’accordant aux plus grandes entreprises ». Olivier Guivarch de la CFDT se félicite que « maintenant le gouvernement reconnaît notre place ». La CFDT est donc prête à négocier sur l’assurance chômage et l’emploi des seniors. « Nous attendons de savoir dans quelles dispositions se mettent les organisations patronales », a-t-il ajouté. A la CGT, Denis Gravouil reconnaît l’existence de plusieurs points favorables : « On a eu la peau de la réforme de l’assurance chômage, c’est quand même une victoire. Sur les retraites, Michel Barnier reste dans sa ligne d’aménagements cosmétiques qui ne nous satisfont pas du tout et il reste les réductions de dépenses que nous aurons dans le PLF et le PLFSS ». Il note également un succès « non négligeable » sur le Smic et les exonérations de cotisations autour du Smic. Comme à l’issue des bilatérales à Matignon, Frédéric Souillot (FO) se réjouit « de ce qui ressemble à un changement de méthode » mais espère que l’exercice ne se limite pas à de la simple communication. L’anticipation de plusieurs mois sur la hausse du Smic lui semble également « une bonne nouvelle pour les Smicards et les bas salaires » même s’il préfèrerait la mise en place de l’échelle mobile des salaires. Il note que Michel Barnier redonne la main aux partenaires sociaux sur de nombreux sujets et continuera de porter l’agrément de l’accord de 2023 sur l’assurance chômage. Pour François Hommeril, « tout cela est positif dans le sens où c’est conforme à ce qu’il nous a dit aux bilatérales ». La CFE-CGC se rendra aux diverses négociations paritaires sur l’assurance chômage, les seniors et les retraites. Son président note toutefois l’absence pour l’instant de tout élément de cadrage. Il souhaiterait également que des conditions soient fixées au patronat, comme une suppression du CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi) en cas d’échec de la négociation. Il réclame aussi une étude d’impact financière sur les raisons de la dette budgétaire française. A la CFTC, Cyril Chabanier se satisfait lui aussi des annonces relatives au Smic qu’il considère comme « un geste positif ». Autres avancées selon lui, l’ouverture d’une nouvelle négociation sur l’assurance chômage. Il se dit en revanche « déçu » sur les retraites et « réservé » sur les branches : « J’ai entendu tous les Premiers ministres et tous les ministres du travail dire la même chose sans résoudre le problème des minimas inférieurs au Smic donc j’attends de voir comment Michel Barnier va tordre le bras des branches pour y parvenir ». Il reste à voir si les syndicats vont parvenir à dégager des lignes communes lors de la réunion intersyndicale prévue en visioconférence aujourd’hui en fin de journée. |
Envoyer des blagues sexistes avec sa messagerie professionnelle, une liberté fondamentale du salarié ?
Dans cette affaire, un salarié est licencié pour faute grave aux motifs de factures réglées en l’absence de contrats ou pour des prestations fictives, du remboursement de frais professionnels injustifiés, de son implication dans une société tierce, d’un comportement déloyal et… de l’envoi de courriels contenant des images et des liens à caractère sexuel.
Le salarié avait, en effet, entretenu une correspondance électronique avec un subordonné et des personnes étrangères à l’entreprise, grâce à l’outil informatique mis à sa disposition pour son travail. Ces messages, estampillés « privés », avaient une connotation sexuelle avérée mais ne constituaient pas des faits de harcèlement sexuel. Il s’agissait d’envois de blagues sexistes (de très mauvais goût) et de photos pouvant être considérées comme pornographiques qui ne ciblaient personne en particulier.
Le salarié conteste son licenciement en justice. Il est débouté en appel, les juges du fond considérant que les messages litigieux contrevenaient à la charte interne de l’entreprise destinée à prévenir le harcèlement sexuel. A tort. La chambre sociale casse l’arrêt d’appel au motif que les messages ne constituaient pas des faits de harcèlement sexuel (arrêt du 2 février 2022). Elle renvoie l’affaire à la cour d’appel autrement composée.
Cette fois-ci, le licenciement est jugé nul par la cour d’appel de renvoi parce qu’il viole la liberté d’expression du salarié. L’employeur se pourvoit en cassation.
Dans un arrêt du 25 septembre 2024, la Cour de cassation censure une nouvelle fois les juges du fond. Elle confirme la nullité du licenciement mais, dans le droit fil de sa jurisprudence, sur un autre fondement, celui de l’atteinte à sa vie privée, et en tire toutes les conséquences qui s’imposent.
En vertu de l’article L.1121-1 du code du travail, tout salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. Ce droit implique en particulier le secret des correspondances.
Si les courriels figurant sur la boite électronique professionnelle du salarié, sans mention les faisant apparaître comme étant personnels, sont présumés avoir un caractère professionnel et peuvent dès lors être ouverts par l’employeur (arrêt du 15 décembre 2010 ; arrêt du 18 octobre 2011), celui-ci ne peut pas, sans violer cette liberté fondamentale, prendre connaissance des messages personnels et identifiés comme tels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, et ceci même au cas où il aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur (arrêt « Nikon » du 2 octobre 2001).
Attention ! Même si l’employeur peut consulter les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut pas les utiliser pour le sanctionner s’ils s’avèrent relever de sa vie privée (arrêt du 5 juillet 2011).
Comme le rappelle l’avocate générale dans son avis joint à l’arrêt, s’agissant de correspondances ou de fichiers à connotation sexuelle, l’employeur est seulement autorisé à reprocher au salarié un manquement à ses obligations contractuelles soit en raison d’un usage abusif de l’outil informatique professionnel à des fins privées (arrêt du 16 mai 2007 ; arrêt du 18 décembre 2013) soit de la commission de faits délictueux tels que la pédophilie ou la tenue de propos antisémites susceptibles de nuire aux intérêts de l’entreprise (arrêt du 2 juin 2004).
En, l’espèce, les messages litigieux avaient bien été identifiés comme personnels, n’étaient pas trop nombreux et aucun fait pénalement répréhensible susceptible de nuire à l’entreprise ne pouvait être relevé.
Fort logiquement, et en dépit du caractère choquant et moralement critiquables de ces messages, la Cour de cassation reprend le dispositif de l’arrêt « Nikon » précité.
La Cour de cassation reste fidèle à sa position. Les licenciements prononcés en raison de l’envoi de mails sans caractère professionnel, pornographiques ou non, par un salarié n’ont jamais été analysés par la Cour comme une violation de sa liberté d’expression mais comme celle, éventuelle, de sa vie privée.
Pourtant, le lien entre ces deux libertés fondamentales peut être tenu.
Le deuxième arrêt d’appel avait d’ailleurs conclu à la nullité du licenciement sur le fondement de la violation de la liberté d’expression du salarié garantie par l’article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
► Pour rappel, ce texte dispose que le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
Pour les juges du fond, les mails étaient privés, n’étaient pas stigmatisants et ne ciblaient aucune personne. Leur contenu n’était ni excessif ni diffamatoire ni injurieux.
Aucun fait n’était pénalement répréhensible ; les messages étaient étrangers à tout harcèlement sexuel, y compris en considération de la prévention de ceux-ci.
L’interdiction de blagues et commentaires du seul fait de leur connotation sexuelle devait donc être regardée comme portant en elle-même une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression du salarié.
A tort. Pour prononcer la nullité du licenciement, la cour d’appel aurait dû se fonder sur la violation du secret des correspondances du salarié.
Comme le souligne l’avocate générale dans son avis, « ce n’est qu’indirectement et subsidiairement, en quelque sorte, que la liberté d’expression peut réapparaître, non pas comme limite au droit disciplinaire de l’employeur, mais comme finalité seconde au droit au secret des correspondances privées, qui est de permettre à chacun de dire ce qu’il veut dans le secret d’une correspondance ».
La Cour de cassation tire les conséquences de l’illicéité de motif fondé sur la violation de la vie privée du salarié.
Elle rappelle qu’à moins de constituer un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier un licenciement disciplinaire (arrêt du 26 septembre 2001 ; arrêt du 23 juin 2009 ; arrêt du 3 mai 2011).
Les propos tenus dans le cadre d’une conversation privée (que ce soit sur messagerie électronique ou sur les réseaux sociaux) qui n’est pas destinée à être rendue publique, ne peuvent pas constituer un manquement du salarié à ses obligations professionnelles (Assemblée plénière du 22 décembre 2023 ; arrêt du 6 mars 2024).
En outre, précise-t-elle, « le caractère illicite du motif du licenciement fondé, même en partie, sur le contenu de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique professionnel, en violation du droit au respect de l’intimité de la vie privée, entraîne à lui seul la nullité du licenciement ».
Les propos échangés par le salarié étant d’ordre privé, sans rapport avec son activité professionnelle et non destinés à être rendus publics, le licenciement du salarié était injustifié. Il était également atteint de nullité puisqu’il violait le droit au respect de sa vie privée.
► Rappelons qu’en l’absence d’atteinte à l’intimité de la vie privée du salarié, le licenciement fondé sur un motif tiré de la vie personnelle du salarié est sans cause réelle et sérieuse (arrêt du 25 septembre 2024).
Ce faisant, la Cour statue contre l’avis de l’avocate générale qui considérait que « pour être personnelle, la correspondance reçue sur le lieu du travail n’est pas nécessairement privée, qui doit s’entendre de l’intimité de la vie privée (…), et n’appelle donc pas forcément la protection attachée à la violation du droit au respect de la vie privée, qui est la nullité de la mesure prise en violation de cette liberté fondamentale. Or en l’espèce, les blagues ou photos à caractère sexuel n’entraient pas dans la stricte intimité de la vie privée du salarié, ne le concernant pas personnellement (ce serait différent en cas d’envoi de photos ou vidéos intimes entre personnes consentantes), et n’entachaient donc pas de nullité le licenciement discuté ».
Une analyse des accords prévoyant une semaine de quatre jours : la recherche de productivité d’abord
Dans un document de quatre pages (en pièce jointe), la sociologue Pauline Grimaud, du Centre d’études, de l’emploi et du travail (CEET), présente une analyse de 150 accords d’entreprise signés en France en 2023 prévoyant une semaine de travail de quatre jours (*).
Conclusion générale : « Ce souci de la performance économique se traduit par des semaines de travail compressées ou intensifiées puisque la semaine de quatre jours n’implique en général ni une baisse de la durée du travail, ni une diminution de la charge de travail. D’ailleurs, cette organisation du temps de travail recouvre des réalités très diverses dans les entreprises selon les secteurs et les catégories socioprofessionnelles des salariés concernés ».
En ciblant les accords qui mettent en place de façon pratique une organisation du travail en quatre jours, l’auteure de l’étude estime que ces textes, même s’ils prétendent viser une amélioration du bien être des salariés (ce motif figure dans 50 % des préambules des accords), sont surtout conçus comme « un moyen de mobiliser les salariés en vue de gains de productivité ».
Pour arriver à ce constat, l’étude du CEET analyse les effets réels sur la semaine de travail des accords signés. Or 89 % des textes aboutissent à une semaine de travail compressée, sans réduction du temps de travail : la durée hebdomadaire de travail ne baisse pas, et donc le temps de travail quotidien augmente.
Le temps de travail effectif passe ainsi souvent à :
- 8h45 par jour pour les salariés à 35 heures ;
- 9h45 par jour pour les salariés à 39 heures.
Comme ce temps n’inclut pas les pauses, l’amplitude journalière peut donc atteindre ou dépasser 10 heures, comme on le voit ci-dessous pour un centre d’appels :
Cet alourdissement du temps de travail quotidien ne s’accompagne d’aucune mesure d’allègement de la charge de travail ni de création d’emplois, les accords affirmant même que la charge de travail restera la même. Autrement dit, le salarié doit faire autant en moins de temps. Et cela vaut même pour les accords qui réduisent un peu la durée de travail hebdomadaire !
Ce type d’accord permet donc, comme cela s’est déjà vu avec le passage au 35 heures, une nouvelle intensification du travail.
Cependant, l’organisation du travail en quatre jours est différente selon les entreprises. L’auteure distingue trois grands types d’organisation de la semaine de travail.
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La semaine de quatre jours sur cinq
Adoptée dans les services comme dans l’industrie, cette organisation, choisie par 63 % des accords, neutralise un jour dans la semaine, soit un jour collectif quand c’est possible, soit un jour pris individuellement; « souvent le lundi, mercredi ou vendredi ».
Cette organisation va parfois de pair avec une baisse du nombre de jours de télétravail. « La popularité croissante de la semaine de quatre jours s’explique donc bien par le contexte post-pandémie puisqu’elle constitue, pour les entreprises, un dispositif alternatif à la généralisation du télétravail pour une partie des salariés », en déduit Pauline Grimaud.
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La semaine modulée
Présente dans 20 % des accords, dans les services comme dans l’industrie, cette organisation vise la flexibilité : le temps de travail dépend de l’activité saisonnière et du carnet de commandes, avec des semaines de quatre jours de travail (32 ou 30 heures) en cas de basse activité, et des semaines de cinq voire six jours de travail (40 heures ou plus). On rejoint ici les logiques d’annualisation du temps de travail qui permettent à l’employeur d’éviter de payer des heures supplémentaires.
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la semaine de quatre jours sur sept
Il s’agit ici d’organiser un travail par roulement pluri-hebdomadaire, avec une semaine de quatre jours organisée sur cinq, six ou sept jours, avec un travail souvent régulier le week-end.
Ce mode d’organisation est préféré par 16 % des accords, souvent dans les services avec un contact client et de fortes amplitudes horaires. « Pour les directions d’établissements, elle a l’avantage d’augmenter l’amplitude journalière et de faciliter ainsi la mise en place de longues journées de travail sur un nombre plus restreint de jours », observe le CEET.
Cette organisation, avec ses horaires atypiques, revient souvent à diminuer sensiblement le temps partagé en famille, et va donc à rebours des idées reçues sur une semaine de quatre jours permettant de mieux concilier temps personnel, vie familiale et temps professionnel.
N’y-a-t-il donc aucun bénéfice pour le salarié lorsqu’un accord d’entreprise prévoit une semaine de travail de quatre jours, en vient-on à se demander à la lecture de l’analyse du CEET.
La réponse de l’auteure ne pourra que nourrir la réflexion des négociateurs, qu’il s’agisse des RH comme des délégués syndicaux. Ce qu’y gagnent les salariés ? C’est de mettre à distance le travail, d’échapper au moins un jour par semaine au « travail pressé » décrit par de nombreux spécialistes du monde du travail. Problème et paradoxe : cette organisation impliquant une nouvelle intensification du travail, elle pourrait bien à nouveau dégrader la qualité du travail, sa soutenabilité pour les travailleurs, et donc susciter encore davantage de mise à distance de l’entreprise de la part des salariés…
(*) Le Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) est un programme transversal du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) visant à développer la recherche pluridisciplinaire sur le travail et l’emploi, dans une perspective académique et de réponse à la demande sociale (voir ici les différents laboratoires qui y contribuent).
Attribution d’actions gratuites : en cas de réintégration dans l’assiette des cotisations sociales, l’avantage est évalué au terme de la période d’acquisition
Dès lors que les conditions édictées aux articles L.225-197-1 à L.225-197-6 du code de commerce sont respectées, le régime social des actions gratuites peut être attractif.
Ainsi, le gain lié à l’attribution des actions peut être exclu de l’assiette des cotisations de sécurité sociale et des prélèvements alignés. Cette exonération bénéficie tant aux salariés qu’aux mandataires sociaux lorsque deux conditions sont réunies :
- le bénéficiaire ne doit pas disposer de ses actions gratuites pendant la période de conservation ;
- l’employeur doit notifier à l’Urssaf l’identité des salariés ou mandataires sociaux auxquels des actions gratuites ont été définitivement attribuées au cours de l’année civile précédente, ainsi que le nombre et la valeur des actions attribuées à chacun d’eux.
► Une condition supplémentaire est exigée pour les actions attribuées jusqu’au 27 septembre 2012 : le délai de conservation prévu en matière fiscale doit être respecté.
Si l’une de ces conditions fait défaut, l’employeur est tenu au paiement de la totalité des cotisations sociales, y compris pour leur part salariale.
Pour ce faire, il faut évaluer l’avantage procuré par l’attribution gratuite di’actions. A quelle date doit être évalué cet avantage ? L’Urssaf a-elle toute latitude pour évaluer cet avantage à défaut d’éléments probants fournis par la société ? Ce sont les questions posées à la Cour de cassation dans un arrêt du 5 septembre dernier.
Dans cette affaire, suite à un contrôle portant sur les années 2012 à 2014, l’Urssaf a réintégré dans l’assiette des cotisations, des avantages accordés aux salariés par attributions gratuites d’actions dans le cadre d’un plan mis en place au titre de l’année 2012.
► L’arrêt n’explicite pas les raisons ayant conduit au redressement au titre de l’année 2012.
Le redressement est validé par la justice.
La société se pourvoit en cassation, arguant du parallélisme des règles fiscales et sociales. Concrètement, l’impôt sur l’avantage correspondant à la valeur à la date d’acquisition des actions gratuites est dû au titre de l’année au cours de laquelle le bénéficiaire a cédé ces actions. Dès lors, la société en déduit que le fait générateur de l’assujettissement aux cotisations ne peut être que la cession des actions et non leur acquisition. Or, aucune cession n’était intervenue au cours de 2012.
La Cour de cassation ne suit pas ce raisonnement. Le fait générateur des cotisations sociales n’est pas la cession des actions attribuées gratuitement aux salariés mais l’attribution définitive de celles-ci au terme de la période d’acquisition. L’avantage doit donc être évalué à la date de cette acquisition en fonction de l’économie réalisée par le bénéficiaire (en l’espèce, 2012).
Pour déterminer la valeur des actions à la date de leur acquisition par les bénéficiaires, la société avait fourni à l’Urssaf un tableau retraçant leur valeur, établi par elle mais qui n’était ni certifié ni même signé. Considérant cet élément de preuve insuffisant, l’Urssaf avait retenu la valeur refacturée par la société mère des actions attribuées par la société cotisante.
La Cour de cassation lui donne raison. A défaut de fournir des éléments probants de la valeur des actions à l’expiration de la période d’acquisition, la société cotisante ne pouvait pas contester l’évaluation du redressement effectué par l’Urssaf en fonction des informations obtenues lors du contrôle.
► Le plan de 2013, non qualifié, octroyait aux salariés bénéficiaires des options de souscription d’actions à prix zéro. Les juges d’appel ont jugé, fort logiquement, que l’octroi d’une option d’achat d’actions à prix zéro s’analysait en une attribution gratuite d’actions.
CSP : peut-on informer le salarié sur le motif de rupture par un compte-rendu de réunion de CSE ?
La rupture du contrat de travail par adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle (CSP) doit reposer sur un motif économique réel et sérieux, au sens de l’article L 1233-3 du Code du travail. La Cour de cassation exige donc de l’employeur qu’il remette au salarié, avant son acceptation du CSP, un écrit l’informant des motifs de la rupture (Cassation n° 08-43.137).
En l’espèce, l’employeur avait adressé à la salariée un courrier électronique comportant, en pièce jointe, le compte-rendu de la réunion au cours de laquelle les représentants du personnel avaient été informés sur le licenciement envisagé. La Cour de cassation a en effet déjà admis qu’un tel écrit permette à l’employeur de satisfaire à son obligation d’information, sous réserve toutefois que ledit compte-rendu mentionne non seulement les difficultés économiques rencontrées par l’entreprise mais également leur incidence sur l’emploi du salarié (Cassation n°16-17.865).
Or ici, le compte-rendu de la réunion avec les représentants du personnel ne précisait pas l’incidence des difficultés économiques invoquées sur l’emploi de la salariée. Par conséquent, la cour d’appel ne pouvait pas décider que l’employeur avait satisfait à son obligation d’information à l’égard de la salariée : sa décision est censurée (Cassation n° 22-18.629).
Suivi médical des salariés : un questions-réponses du ministère du travail du 18 septembre fait le point
Le ministère du travail a publié une liste de 31 « questions-réponses » (QR) relatives au suivi de l’état de santé des salariés sur son site le 17 septembre qui a été mise à jour le 18 septembre. Ces QR sont réparties sous cinq rubriques :
- les compétences de certains professionnels de santé au travail intervenant au sein du SPST (service de prévention et de santé au travail) en matière de suivi individuel de l’état de santé des travailleurs : collaborateur médecin, infirmier de santé au travail, infirmier non formé en santé au travail, infirmier intérimaire, médecin praticien correspondant ;
- les visites d’information et de prévention : documents ne pouvant être délivrés au travailleur à l’issue d’une visite d’information et de prévention, l’orientation possible vers une visite d’aptitude… ;
- les spécificités du suivi individuel renforcé ;
- les visites de reprise, de préreprise, à la demande de l’employeur ou du médecin du travail : documents à remettre au salarié, informations délivrées ;
- la déclaration d’inaptitude
Dans son questions-réponses, le ministère du travail laisse entendre que des textes réglementaires seront prochainement publiés ou sont attendus en évoquant :
1) La nécessité de la publication de deux arrêtés pour mettre en place de manière effective le recours au médecin praticien correspondant ;
2) La publication prochaine d’un arrêté, remplaçant celui du 16 octobre 2017, modifiant les modèles d’attestation de suivi et d’avis d’aptitude et d’inaptitude. En effet, dans trois réponses, le ministère du travail a fait allusion à ce projet d’arrêté mais de manière maladroite car laissant entendre que la publication de cet arrêté était déjà actée :
- « l’attestation de suivi dont le modèle figure en annexe de l’arrêté de 2017 a été modifiée C’est à cet effet que le modèle d’attestation de suivi a été modifié pour permettre de rappeler que le poste a déjà, par le passé, fait l’objet d’un aménagement » ;
- « l’actualisation des modèles de fiches (d’attestation de suivi) a été nécessaire afin de prendre en compte les principales évolutions apportées par la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail en matière de suivi individuel de l’état de santé : les nouvelles délégations aux infirmiers de santé au travail (IDEST), la création des médecins praticiens correspondants et de la visite de mi-carrière. Cette mise à jour a également été l’occasion de les simplifier et d’effectuer des améliorations et des éclaircissements, par exemple, la mention d’un aménagement de poste en cours, d’une réorientation vers le médecin du travail, l’intégration des visites post-exposition et post-professionnelle, la possibilité de rédiger et préciser certaines indications sur la fiche d’aptitude » ;
- de nouveaux modèles d’avis d’aptitude et d’avis d’inaptitude seront publiés par arrêté prochainement pour tenir compte des évolutions issues de la loi du 2 août 2021″.
Nous reprenons ci-après, les réponses du ministère du travail dans les cinq rubriques qui nous semblaient apporter des précisions nouvelles et intéressantes.
Professionnels de santé au travail du SPST | |
Collaborateur médecin |
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Interne en médecine du travail |
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Infirmier de santé au travail |
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Infirmier intérimaire |
« En cas de besoins/surcharges ponctuels, les services de prévention et de santé au travail peuvent recourir à des infirmiers intérimaires. Ces infirmiers sont autorisés à exercer leurs missions propres, dans le respect des dispositions des articles R.4311-1 et suivants du code de la santé publique. Ils peuvent, à cet égard, conduire des entretiens infirmiers mentionnés à l’article R.4623-31 du code du travail, mis en place en accord avec le médecin du travail et sous sa responsabilité, indépendamment des visites et examens intervenant dans le cadre du suivi individuel des travailleurs et prévus par le code du travail, par exemple en matière de prévention des conduites addictives. Ceux ayant suivi une formation spécifique en santé au travail pourront effectuer certaines visites et examens ». ► Le recours à un infirmier intérimaire sans compétence en santé au travail nous semble problématique dans la mesure où le ministère du travail prévoit que cet infirmier pourrait conduire des entretiens infirmiers prévus par le code du travail sans avoir connaissance des spécificités de la prévention dans le milieu du travail. Cela contrevient à l’article R.4623-29 qui prévoit que « si l’infirmier n’a pas suivi une formation en santé au travail, l’employeur l’y inscrit au cours des douze mois qui suivent son recrutement et favorise sa formation continue » . Est ce que l’infirmier intérimaire, du fait de la précarité de son emploi, pourra suivre une telle formation ? |
Médecin praticien correspondant (« médecin de ville ») |
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Visite d’information et de prévention : documents à délivrer | |
Orientation sans délai vers le médecin du travail à l’issue d’une visite d’information et de prévention | « En fonction de l’organisation du service (de santé au travail), cette visite (auprès du médecin du travail) peut même avoir lieu immédiatement. La réorientation vers le médecin du travail est immédiate par la programmation d’un rendez-vous avec le médecin du travail dans les meilleurs délais ». |
Suivi des travailleurs exposés au groupe 2 des agents biologiques |
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Spécificités du suivi individuel renforcé | |
Postes à risque définis réglementairement (évoqués au II du R.4624-23) outre la liste prévue au I de l’article R.4624-23) |
« En l’état actuel des textes, entrent dans le champ du II de l’article R.4624-23 du code du travail, c’est-à-dire les postes à risque définis réglementairement en sus de la liste établie dans le I, les catégories suivantes de postes :- les postes soumis à autorisation de conduite pour l’utilisation de certains équipements de travail mobiles ou servant au levage (article R.4323-56 du code du travail) ;
► Cette liste permet de donner plus de précisions au II de l’article R.4624-23 du code du travail qui se contente de prévoir : « Présente également des risques particuliers tout poste pour lequel l’affectation sur celui-ci est conditionnée à un examen d’aptitude spécifique prévu par le présent code ». |
Exclusion des chauffeurs poids lourds du suivi médical renforcé |
« Les chauffeurs poids lourds n’entrent pas dans la catégorie des postes à risque au sens du II de l’article R.4624-23 du code du travail et relèvent du suivi médical de droit commun prévu par le code du travail ». ► Le ministère du travail explique cette exclusion en précisant que l’examen d’aptitude spécifique demandé aux chauffeurs poids lourds n’est pas prévu par le code du travail mais par le code de la route et donc n’est pas visé par l’article R.4623-56-II du code du travail. |
Autres visites et examens | |
Visite non périodique (visite de mi-carrière, visite de reprise, visite à la demande) |
« Les visites « non périodiques » (visites de reprise, et à la demande) peuvent être « couplées » avec une visite périodique. À l’issue de ces visites conjointes, le professionnel de santé devra établir et remettre deux fiches, une pour la visite périodique et une seconde pour l’autre visite ». ► Le ministère du travail étend la règle issue de l’article L.4624-2-2 concernant la visite de mi-carrière aux autres visites non périodiques. Il appartiendra aux juges de se prononcer. |
L’inaptitude et ses suites | |
Echange employeurs/médecin du travail |
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Situation du travailleur dans l’attente de la décision d’inaptitude (délai de 15 jours) |
« Dans l’attente de la décision d’inaptitude (pendant la période dévolue aux échanges, aux études de poste et des conditions de travail avant le constat de l’inaptitude du travailleur) qui doit être prise dans un délai limité à 15 jours (à compter de la visite de reprise), le travailleur perçoit sa rémunération. Dans certains cas, le travailleur pourra bénéficier d’un arrêt de travail pour maladie ». ► Cette précision semble contraire à l’article L.1226-4 (ou L.1226-11) qui prévoit que la rémunération du salarié déclaré inapte n’est due qu’à l’expiration du délai d’un mois à compter de la visite de reprise. Ce qui semble exclure toute rémunération entre la visite de reprise et le constat d’inaptitude lorsque ce constat a été notifié ultérieurement (dans le délai de 15 jours). Il appartiendra aux juges de donner leur appréciation. |
Inaptitude : la proposition de reclassement conforme est présumée loyale
L’employeur peut licencier pour inaptitude et impossibilité de reclassement un salarié déclaré inapte s’il justifie du refus par celui-ci d’un emploi proposé dans les conditions prévues à l’article L.1226-2 (inaptitude non professionnelle) ou L.1226-10 (inaptitude professionnelle) du code du travail et conforme aux préconisations du médecin du travail. Dans ce cas, l’obligation de reclassement est réputée satisfaite en application de l’article L.1226-2-1 ou L.1226-12 du code du travail (arrêt du 13 mars 2024 ; arrêt du 26 janvier 2022) .
Toutefois la Cour de cassation a toujours précisé que cette présomption ne joue que si l’obligation de reclassement a été exécutée loyalement (arrêt du 26 janvier 2022). Mais sur qui pèse la charge de la preuve du caractère loyal de la proposition de reclassement ? La Cour de cassation vient de répondre clairement que cette preuve incombe au salarié.
En l’espèce, un salarié contestait son licenciement pour inaptitude pour non-respect de l’obligation de reclassement. L’employeur lui avait proposé neuf postes au sein du groupe, conformes aux préconisations du médecin du travail mais tous éloignés géographiquement du domicile du salarié, raison pour laquelle celui-ci les avait refusés.
La cour d’appel lui fait droit après avoir relevé qu’il existait de nombreux autres postes à pourvoir et que la société ne produisait pas le registre unique du personnel de ses établissements situés en région Normandie. Elle en avait déduit qu’’à défaut de rapporter la preuve qu’il n’existait pas en Normandie de postes disponibles compatibles avec les qualifications et les capacités physiques restantes du salarié, l’employeur n’avait pas respecté son obligation de reclassement dans des conditions suffisamment loyales et sérieuses.
La Cour de cassation n’est pas de cet avis. Elle considère que la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en s’appuyant sur l’’article 1354 du code civil selon lequel « la présomption que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains dispense celui au profit duquel elle existe d’en rapporter la preuve ».
Il en résulte que lorsque l’employeur a proposé un emploi conforme, l’obligation de recherche de reclassement est réputée satisfaite et il appartient au salarié de démontrer que cette proposition n’a pas été faite loyalement.
A titre d’exemples, l’obligation de reclassement est déloyale lorsque :
- l’employeur propose certains postes préconisés par le médecin du travail mais pas celui qui avait été pourtant déjà occupé par le salarié, pour lequel il était demandeur et qui était disponible (arrêt du 26 janvier 2022) ;
- l’employeur ne propose pas le poste en télétravail préconisé par le médecin du travail même si le télétravail n’était pas mis en place dans l’entreprise (arrêt du 29 mars 2023).
► En conséquence, le salarié aura tout intérêt à échanger avec le médecin du travail, ainsi qu’avec le CSE, s’il existe, sur ses desiderata sur le poste de reclassement pour orienter les recherches de reclassement de l’employeur. Si un tel poste est disponible, répond aux compétences du salarié et qu’il a été préconisé par le médecin du travail, l’employeur devra le proposer en priorité pour exécuter loyalement son obligation de reclassement.
L’obligation de négocier sur la GEPP est subordonnée à l’existence d’un ou plusieurs syndicats représentatifs dans l’entreprise
Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives, l’employeur est tenu d’ouvrir des négociations au moins une fois tous les quatre ans, sur les thèmes suivants (article L.2242-1 du code du travail) :
- la rémunération (notamment les salaires effectifs), le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée, (c’est-à-dire les dispositifs de participation, d’intéressement et d’épargne salariale mais aussi les plans d’épargne retraite d’entreprise) ;
- l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (portant notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération) et la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT).
► L’existence d’une section syndicale se manifeste par la désignation d’un ou plusieurs délégués syndicaux si l’effectif de l’entreprise atteint au moins 50 salariés. Si l’effectif est inférieur, cette existence se manifeste lorsqu’un membre du CSE est désigné comme délégué syndical.
Les entreprises ou groupes d’au moins 300 salariés (ou entreprises communautaires comportant un comité d’entreprise européen d’au moins 300 salariés et une entreprise d’au moins 150 salariés en France) doivent également ouvrir des négociations au moins tous les quatre ans sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) (article L.2242-2 du code du travail).
L’article L.2242-2 précité ne subordonne pas expressément l’obligation de négocier sur la GEPP à l’existence de syndicats représentatifs dans l’entreprise, comme le fait l’article L.2242-1. Cette condition s’applique-t-elle aussi à ce thème ?
Dans un arrêt du 19 janvier 2022 qui portait sur la négociation obligatoire relative à la GEPP, la Cour de cassation affirme, sur le fondement des articles L.2242-1 et L.2242-2 précités et dans des termes généraux, que « l’obligation de négociation est subordonnée à l’existence dans l’entreprise d’une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives » dans l’entreprise. L’arrêt d’appel est cassé et l’affaire renvoyée devant une autre cour d’appel. Mais l’affaire lui revient. L’occasion, pour elle, de réitérer sa position en précisant, cette fois-ci, que la condition s’applique bien à la négociation relative à la GEPP.
► A l’époque des faits, les négociations sur la GEPP (dénommée GPEC) devaient être ouvertes tous les trois ans.
Dans cette affaire, une société comptant environ 1 200 salariés au sein de 122 magasins est assignée en justice par un syndicat, le 27 novembre 2018. Celui-ci réclame, entre autres, que soit ordonné à la société d’ouvrir des négociations sur la GEPP (GEPC à l’époque des faits) sous astreinte et le paiement de dommages-intérêts pour entrave à la négociation.
En effet, aucune négociation relative à la GPEC n’avait été ouverte par l’employeur entre 2015 et 2019.
Le syndicat avait désigné le 26 juillet 2012 un délégué syndical mais uniquement pour un des sept établissements distincts que compte l’entreprise, en application du PAP.
Ce n’est qu’à la suite des élections d’octobre 2016 que le syndicat désigne, le 16 novembre 2016, deux délégués syndicaux au niveau de l’entreprise.
Il est débouté une première fois de ses demandes aux motifs que :
- la désignation des deux délégués syndicaux n’est intervenue que le 16 novembre 2016 (l’un d’entre eux s’est, en outre, vu retirer son mandat en 2017) ;
- en 2015 et 2016, aucune négociation annuelle obligatoire n’a pu être ouverte en raison de l’absence systématique du délégué syndical aux réunions ;
- le syndicat n’a évoqué cette négociation pour la première fois que le 31 octobre 2018 et ne l’a expressément sollicitée que le 18 juin 2019.
► Les juges rappellent également que la périodicité de cette négociation était triennale jusqu’au 20 décembre 2017 puis quadriennale ensuite.
La Cour de cassation casse l’arrêt (arrêt du 19 janvier 2022 précité). Le motif tenant à l’absence de demande de négociations est inopérant. De plus, il résultait des constatations des juges d’appel que le syndicat était représentatif au sein de l’entreprise depuis 2012 (le périmètre de désignation du délégué syndical désigné en 2012 n’avait visiblement pas été remis en cause par la société).
L’affaire est rejugée en appel pour le même résultat mais cette fois-ci, les juges d’appel relèvent bien la désignation du délégué syndical en 2012 ne portait que sur un des sept établissements de l’entreprise et qu’aucun délégué syndical n’avait été désigné au niveau de l’entreprise jusqu’au 16 novembre 2016. Ils en concluent que le délai de la négociation d’un accord sur la GEPP n’était pas acquis au moment de la saisine du tribunal par le syndicat le 27 novembre 2018.
A bon droit, selon la Cour de cassation.
Dans l’arrêt du 11 septembre 2024, la Cour de cassation, cette fois-ci, ne fonde sa décision que sur l’article L 2242-2 du code du travail et précise bien que « l’obligation de négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels est subordonnée à l’existence d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives au niveau de l’entreprise ».
Ce faisant, dès lors que l’entreprise dispose d’un syndicat représentatif et de délégués syndicaux, l’employeur doit ouvrir des négociations au moins une fois tous les quatre ans (tous les trois ans à l’époque des faits de l’espèce), sous peine d’une condamnation au versement de dommages et intérêts pour entrave à la négociation.
Peu importe à cet égard l’absence systématique du délégué syndical aux réunions ou la sollicitation tardive du syndicat.
En revanche, cette obligation ne s’impose à l’employeur qu’à partir du moment où la représentativité du syndicat est reconnue. S’agissant des négociations obligatoires, elle s’impose donc dès lors qu’un délégué syndical est désigné au niveau de négociation requis (à savoir ici, l’entreprise).
► Pour rappel, la représentativité d’un syndicat ne peut être contestée de façon générale. Elle ne peut l’être que par rapport à l’exercice d’une prérogative précise (arrêt du 7 décembre 1995 ; arrêt du 24 janvier 2018). La contestation de la représentativité surgit en général à l’occasion de la désignation d’un délégué syndical qui entraîne la mise en œuvre de l’obligation de négocier.