La Cour de cassation a posé pour principe, dans plusieurs arrêts du 30 juin 2021, que la détermination du délai de prescription dépend de la nature de la créance objet de la demande (Cassation n°s 18-23.932, 19-10.161, 19-14.543, 20-12.960 et 19-16.655). Elle a illustré ce principe s’agissant de demandes principales en rappels de salaires fondées sur l’invalidité d’une convention de forfait en jours, la monétisation du compte épargne-temps, la requalification du contrat à temps partiel en temps plein, la contestation de la classification professionnelle ou encore l’inégalité de traitement.
Les délais de prescription applicables aux actions prud’homales sont fixés par plusieurs textes de portée générale et assortis de dérogations. L’article L 1471-1 du Code du travail dispose que toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance des faits à l’origine du droit (article L 1471-1, al. 1 du code du travail), tandis que la prescription annale (12 mois) s’applique aux actions relatives à la rupture du contrat de travail (article L 1471-1, al. 2). Le texte exclut les actions en réparation d’un dommage corporel (10 ans) et les actions fondées sur une discrimination ou des faits de harcèlement sexuel ou moral (article L 1471-1, al. 3). L’article L 3245-1 du Code du travail prévoit un délai de prescription de 3 ans pour les actions en paiement ou en répétition du salaire à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des 3 dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des 3 années précédant la rupture du contrat.
Mais d’autres délais de prescription spéciaux sont susceptibles de primer sur le délai annal, biennal ou triennal. La demande du salarié peut relever de la prescription de 5 ans afférente à l’action relative à une discrimination (article L 1134-5). Ainsi, la demande de versement d’une gratification afférente à la médaille du travail, fondée sur des faits de discrimination à raison de l’âge, relève de la prescription quinquennale de l’article L 1134-5 et non de la prescription salariale (Cassation n° 19-14.543).
Enfin, chaque fois que l’action ne relève d’aucun texte spécial, c’est la prescription de droit commun de 5 ans prévue par l’article 2224 du Code civil qui s’applique. C’est le cas de l’action exercée sur le fondement d’un harcèlement en application des articles L 1152-1 et L 1153-1 du Code du travail ou de l’action fondée sur le manquement de l’employeur d’affilier son personnel à un régime de prévoyance complémentaire (Cassation n° 22-17.240).
Dans plusieurs arrêts du 4 septembre 2024 destinés à la publication, la chambre sociale de la Cour de cassation applique le principe de détermination du délai rappelé ci-dessus à diverses actions en dommages et intérêts ou en rappels de salaires formés par le salarié au cours d’une même action. Ces solutions illustrent l’office du juge qui doit, pour chaque demande, rechercher la nature de la créance objet de celle-ci et déterminer la prescription applicable.
Dans l’affaire ayant donné lieu au pourvoi n° 23-13.931, la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur la question des règles de prescription applicables dans le cas d’une demande portant sur l’affectation de jours de repos non pris à un plan d’épargne retraite, en l’espèce un Perco. Dans ce litige, un salarié d’une société du secteur du BTP demande le 19 décembre 2016 à son employeur le transfert de 4 jours de RTT vers le dispositif de Perco mis en place dans la branche dont relève son entreprise. L’accord-cadre instituant ce plan d’épargne stipule que les salariés de la branche qui n’ont pas accès à un plan d’épargne salariale d’entreprise, de groupe ou interentreprises peuvent adhérer directement à ce Perco. Mais l’employeur refuse d’effectuer cette affectation. L’intéressé saisit le conseil de prud’hommes le 25 avril 2019 pour demander à titre principal le transfert des 4 jours de repos ainsi que des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et préjudice moral et, à titre subsidiaire, le paiement de l’indemnité de RTT pour ces 4 journées perdues.
La cour d’appel juge l’ensemble des demandes irrecevables, considérant qu’elles sont relatives à l’exécution du contrat de travail et relèvent donc de la prescription biennale prévue par l’article L 1471-1 du Code du travail dans sa rédaction applicable au litige. Or, le salarié a saisi le juge 2 ans et 4 mois après sa demande de transfert des jours.
Le salarié forme un pourvoi en cassation, faisant valoir, pour l’ensemble de ses demandes, l’application de la prescription triennale relative aux créances de nature salariale prévue par l’article L 3245-1 du Code du travail. La chambre sociale de la Cour de cassation répond en 3 temps, chaque demande du salarié devant faire l’objet d’une analyse autonome pour déterminer la nature de la créance et, ainsi, la durée de prescription applicable.
La demande de transfert de 4 jours de RTT sur un Perco est de nature salariale
S’agissant de la demande du salarié portant sur le transfert de 4 jours de RTT sur le Perco, la cour d’appel a considéré qu’elle relevait de l’exécution du contrat de travail. Mais l’analyse de la Cour de cassation est différente : elle relève que l’article L 3334-8 du Code du travail autorise le salarié, en l’absence de compte épargne-temps dans l’entreprise, à verser sur le Perco des sommes correspondant à des jours de repos non pris, dans la limite de 10 jours par an.
Or, comment sont valorisés les jours de repos non pris ? L’arrêt rappelle que l’indemnité pour jours de RTT correspond au montant de la rémunération légalement due en raison de l’exécution d’un travail. Et la chambre sociale d’en déduire que la demande du salarié relative au versement de jours de RTT sur le Perco a une nature salariale.
A noter : En effet, les jours de RTT constituent la contrepartie d’un travail supérieur à 35 heures hebdomadaires (Cassation n°10-20.473) et l’indemnité pour jours de RTT non pris correspond au montant de la rémunération légalement due au salarié en raison de l’exécution d’un travail entre 35 et 39 heures (Cassation n° 04-17.096).
La cour d’appel a donc violé les textes relatifs à la prescription et au Perco en déboutant le salarié, alors que ce dernier avait bien saisi le conseil de prud’hommes dans le délai de prescription de 3 ans après la date de sa demande d’affectation de jours de RTT au Perco.
A notre avis : L’affectation de « sommes correspondant à des jours de repos non pris » est également possible sur un Pereco, le plan d’épargne retraite institué par la loi Pacte du 22 mai 2019 (article L 224-2, 2° du code monétaire et financier). La solution de l’arrêt du 4 septembre 2024 semble transposable à ce plan, étant donné la similarité des textes relatifs aux 2 dispositifs quant aux modalités d’alimentation. La solution devrait également être applicable, selon nous, aux demandes portant sur le transfert vers un plan d’épargne retraite de jours de repos affectés à un compte épargne-temps (CET). Il a déjà été jugé que l’action relative à l’utilisation des droits affectés sur un CET, acquis en contrepartie du travail, a une nature salariale (Cassation n° 19-14.543).
La demande de réparation du préjudice relève de l’exécution du contrat de travail
S’agissant des demandes du salarié de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et préjudice moral résultant de la perte de chance de placement des 4 jours sur ces fonds et d’abondement de ces sommes, la Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond selon laquelle il ne s’agit pas d’une action en paiement ou en répétition du salaire mais d’une action portant sur l’exécution du contrat de travail, qui se prescrit par 2 ans comme prévu par l’article L 1471-1 du Code du travail. Comme le souligne l’avis rendu sur cette affaire par l’avocate générale référendaire, Mme Molina, les demandes du salarié sont de nature indemnitaire, pour réparer un préjudice subi dans le cadre de l’exécution du contrat de travail.
A noter : Dans son étude de 2023 intitulée «La prescription en droit du travail», la Cour de cassation indique que les créances indemnitaires constituent le cœur du champ d’application du délai biennal de prescription, prenant l’exemple de l’inégalité de traitement : lorsque le salarié invoque une telle inégalité, sa demande d’un rappel de salaire relève de la prescription triennale mais sa demande de dommages-intérêts entre dans le champ de l’article L 1471-1 du Code du travail.
Le pourvoi du salarié faisait valoir que cette demande de réparation d’un préjudice était intrinsèquement liée à la demande principale, de nature salariale, portant sur le transfert des jours de RTT sur le Perco, et devait dès lors se voir appliquer la même durée de prescription de 3 ans. Mais l’avis de l’avocate générale insiste sur le fait que le juge doit analyser distinctement, pour chaque demande, la nature de la créance, sans tenir compte d’un lien de dépendance nécessaire entre une demande et une autre. Il s’agit de l’application dite «distributive» des règles de prescription.
La demande d’indemnités compensatrices de RTT perdues est de nature salariale
À titre subsidiaire, le salarié sollicitait le paiement d’indemnités compensatrices au titre des 4 jours de RTT qu’il avait perdus du fait de leur non-affectation au Perco par l’employeur, ainsi que les congés payés afférents. La cour d’appel avait rattaché cette demande aux demandes principales et avait appliqué la prescription biennale. Elle avait ainsi débouté le salarié. La Haute Juridiction casse l’arrêt de cour d’appel sur ce point, en rappelant que l’indemnité pour jour de RTT non pris, qui correspond au montant de la rémunération légalement due en raison de l’exécution d’un travail, a une nature salariale. La demande relevait donc de la prescription triennale.
Le paiement des heures supplémentaires et des majorations s’y rapportant peut être remplacé par un repos compensateur équivalent, dit «repos compensateur de remplacement» (article L 3121-28 du code du travail). Les salariés sont informés du nombre d’heures de repos compensateur de remplacement portées à leur crédit par un document annexé au bulletin de paie (articles D 3171-11 et D 3171-12).
Dans l’affaire n° 22-20.976, une salariée, licenciée en février 2017, formule une demande de dommages-intérêts au titre de ce repos en raison de l’absence de communication de ce document d’information par son employeur. La cour d’appel la déboute de sa demande au titre des années 2012 à 2014 au motif que cette dernière avait reçu mensuellement ses bulletins de paie et avait pu constater, le cas échéant, l’absence d’information sur le nombre de repos compensateurs auxquels elle pouvait prétendre. La cour d’appel, appliquant un délai de prescription triennal, considère l’action prescrite. L’arrêt de la cour d’appel est censuré pour violation de la loi.
L’action en paiement de cette indemnité est soumise à la prescription biennale…
Par un moyen relevé d’office, la Cour de cassation juge que l’action en paiement d’une indemnité pour repos compensateur de remplacement non pris, en raison d’un manquement de l’employeur à son obligation d’information, qui se rattache à l’exécution du contrat de travail, relève de la prescription biennale prévue à l’article L 1471-1 du Code du travail.
Auparavant, la chambre sociale de la Cour de cassation jugeait, en matière de repos compensateur (devenu «contrepartie obligatoire en repos»), que le délai de prescription applicable à une telle demande était de 5 ans (Cassation n° 04-45.881 ; Cassation n° 05-43.713 ; Cassation n° 08-40.891). Cette solution était transposable au repos compensateur de remplacement.
A notre avis : La présente décision s’explique à notre sens par l’application désormais constante du principe selon lequel la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de la demande. La Cour de cassation juge en effet que l’indemnité allouée en compensation du repos compensateur non pris du fait de la contestation par l’employeur des heures supplémentaires effectuées par le salarié a le caractère de dommages-intérêts (Cassation n° 99-45.890). Or, la chambre sociale applique habituellement la prescription biennale aux actions en paiement de dommages-intérêts (par exemple, Cassation n° 16-21.735).
… et court à compter du jour où le salarié a eu connaissance de ses droits
Une fois le délai de prescription fixé, restait à déterminer son point de départ. La Cour de cassation juge que, lorsque l’employeur n’a pas respecté son obligation d’information, la prescription a pour point de départ le jour où le salarié a eu connaissance de ses droits et, au plus tard, celui de la rupture du contrat de travail.
Dans des arrêts antérieurs, la chambre sociale avait déjà jugé que le délai de prescription ne pouvait courir qu’à compter du jour où le salarié avait eu connaissance de ses droits lorsque l’employeur n’avait pas respecté l’obligation de l’informer du nombre d’heures de repos compensateur portées à son crédit par un document annexé au bulletin de salaire (Cassation n° 10-30.664 ; Cassation n° 11-26.901 ; Cassation n° 13-16.840).
A notre avis : Ainsi, sauf en cas de rupture du contrat de travail, le délai de prescription ne court pas tant que l’employeur n’annexe pas le document d’information au bulletin de paie. En revanche, lorsque l’employeur remet ce document mensuellement, le délai de prescription court à compter de cette remise pour la période considérée.
L’action en nullité du licenciement fondée sur le harcèlement…
L’affaire ayant donné lieu au pourvoi n° 22-22.860 concerne un salarié licencié le 3 septembre 2018. Estimant avoir subi un harcèlement moral, il saisit la juridiction prud’homale le 14 février 2020 en nullité de son licenciement pour harcèlement et dommages-intérêts pour licenciement nul, soit plus de 12 mois après la rupture du contrat de travail. La cour d’appel applique la prescription annale de l’article L 1471-1, al. 2 et déclare son action prescrite. La décision est censurée.
En l’espèce, la cour d’appel a repoussé le point de départ du délai de 12 mois pour agir en contestation de la rupture. L’employeur n’ayant pas produit l’accusé de réception de la lettre de licenciement, les juges d’appel considèrent que le point de départ est constitué par la date de la lettre de contestation adressée le 20 novembre 2018 par le salarié.
… se prescrit par 5 ans…
La Cour de cassation rappelle que, si la prescription annale s’applique aux actions portant sur la rupture du contrat de travail, son application est exclue lorsque l’action est exercée sur le fondement d’un harcèlement. Aussi, l’action en nullité du licenciement est soumise à la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du Code civil lorsque le licenciement trouve son origine dans une situation de harcèlement moral subi sur le lieu de travail.
… à compter du jour où le salarié a connu les faits lui permettant d’exercer son action
Aux termes de l’article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Mais la chambre sociale ne précise pas ici explicitement le point de départ de l’action en nullité du licenciement fondé sur le harcèlement moral allégué.
A notre avis : La chambre sociale a posé pour principe que le point de départ du délai de prescription est la date du prononcé du licenciement, qui constitue le dernier acte de l’auteur présumé du harcèlement (Cassation n° 19-21.931). Elle a ensuite précisé que le délai court à compter du dernier fait incriminé commis avant la cessation du contrat de travail (Cassation n° 21-24.051). En l’espèce, le point de départ serait-il fixé à la date de la notification du licenciement ou à celle de la lettre de contestation du licenciement par le salarié puisque la date certaine de notification du licenciement n’est pas connue ? Dans les deux cas l’action serait recevable.
Les salariés victimes de travail dissimulé par dissimulation d’activité ou d’emploi salarié ont droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé égale à 6 mois de salaire (article L 8223-1 du code du travail). Dans l’affaire n° 22-22.860, la Cour de cassation se prononce également sur le régime de prescription applicable à cette indemnité.
L’action en indemnité pour travail dissimulé est soumise à la prescription biennale…
En l’espèce, le salarié, licencié le 3 septembre 2018, engage, contre son employeur, une action judiciaire en paiement de l’indemnité forfaitaire le 14 février 2020. L’employeur reproche à la cour d’appel d’avoir accédé à cette demande. Il fait valoir que toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par 12 mois, en application de l’article L 1471-1, al. 2 du Code du travail, et que c’est donc cette prescription annale qui doit s’appliquer dans la mesure où le paiement de ladite indemnité est subordonné à la rupture de la relation de travail.
Cette analyse n’est pas retenue par la Cour de cassation. Après avoir rappelé le principe selon lequel la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée, elle décide que l’action en paiement d’une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est soumise à la prescription biennale de l’article L 1471-1, al. 1er du Code du travail en retenant que le droit à l’indemnité naît en raison de l’inexécution par l’employeur de ses obligations au cours de la relation de travail (Cassation n° 14-17.955 ; Cassation n° 14-15.611). La prescription applicable est donc celle concernant l’exécution du contrat de travail.
A noter : La solution retenue est conforme à l’avis de l’avocate générale, Mme Molina. Celle-ci considère, notamment, que « l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé, qui indemnise le salarié victime de travail dissimulé, tend uniquement à réparer la dissimulation d’emploi, consécutive à une faute de l’employeur survenue au cours de la relation de travail et non à la rupture du contrat de travail ». Elle ajoute que « la rupture du contrat de travail, nécessaire pour le versement de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé, n’est qu’une condition et non le fondement de la demande. Cette condition ne change pas la nature de sanction de l’employeur qui n’a pas respecté ses obligations au cours de la relation de travail, et donc durant l’exécution du contrat de travail. L’indemnité réparant un préjudice subi du fait de la dissimulation d’emploi salarié et non du fait de la rupture du contrat de travail, la prescription biennale est applicable à la demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ».
Et son point de départ est fixé à la date de rupture du contrat
La Cour de cassation précise par ailleurs, à cette occasion, que l’action en paiement de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé naît lors de la rupture du contrat de travail. Elle confirme ainsi que le point de départ de la prescription de 2 ans correspond à la date de rupture du contrat (Cassation n° 04-42.608). En l’espèce, le salarié pouvait saisir le juge jusqu’au 3 septembre 2020. Son action introduite le 14 février 2020 était donc recevable.
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