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Des courriels à caractère racistes envoyés par une salariée à certains de ses collègues depuis sa messagerie professionnelle peuvent-ils justifier son licenciement ? C’est la question à laquelle a dû répondre la Cour de cassation dans un arrêt du 6 mars dernier.

Dans cette affaire, une salariée d’une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) est licenciée pour faute grave pour avoir envoyé, via sa messagerie professionnelle, des messages à « caractère manifestement raciste et xénophobe » adressés à certains collègues. 

Mais, selon la cour d’appel, la salariée pouvait user de sa liberté d’expression et exprimer ses opinions dans un cadre privé, les courriels litigieux ayant été adressés dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe sans avoir vocation à devenir publics. Le licenciement de l’intéressée était de ce fait sans cause réelle et sérieuse.

La CPAM se pourvoit en cassation, considérant pour sa part que le seul fait pour un salarié d’utiliser la messagerie électronique que l’employeur met à sa disposition pour émettre, dans des conditions permettant d’identifier l’employeur, un courriel contenant des propos racistes ou xénophobes, justifie son licenciement. Elle précise également que « le règlement intérieur de l’entreprise et la charte d’utilisation de la messagerie électronique interdisent expressément tout propos raciste ou discriminatoire comme la provocation à la discrimination, à la haine notamment raciale, ou à la violence » et invoque le principe de neutralité auquel sont soumis les salariés d’une caisse de sécurité sociale. Selon la caisse, ces derniers « ne peuvent pas, sans commettre une faute grave, ou à tout le moins une faute constitutive d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, utiliser la messagerie mise à leur disposition par l’organisme de sécurité sociale employeur pour diffuser, auprès d’autres agents, des propos racistes ou xénophobes ».

Un motif tiré de la vie personnelle ne peut justifier en principe un licenciement disciplinaire

Mais la Cour de cassation confirme la position prise par les juges du fond.

Elle rappelle en premier lieu que salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée et en déduit qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail, s’appuyant sur un arrêt récent de l’Assemblée plénière (Assemblée plénière, 22 décembre 2023).

Dans cette affaire, un salarié avait été licencié pour faute grave en raison de propos échangés lors d’une conversation privée avec une collègue au moyen de la messagerie intégrée au compte Facebook personnel du salarié installé sur son ordinateur professionnel. L’Assemblée plénière, après avoir rappelé le principe susvisé, avait considéré qu’une conversation privée qui n’était pas destinée à être rendue publique ne pouvant constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, était insusceptible d’être justifié. Le principe selon lequel « un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail » est régulièrement rappelé par la Cour de cassation. En 2011, elle avait considéré que le fait pour un salarié qui utilise un véhicule dans l’exercice de ses fonctions de commettre, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant la suspension ou le retrait de son permis de conduire ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l’intéressé de ses obligations découlant de son contrat de travail (arrêt du 3 mai 2011).

La Cour précise, qu’en l’occurrence, les messages litigieux s’inscrivaient dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe de personnes, qui n’avaient pas vocation à devenir publics et n’avaient été connus par l’employeur qu’à la suite d’une erreur d’envoi de l’un des destinataires.

Elle rejette ensuite le moyen invoqué par la CPAM relatif au principe de neutralité découlant du principe de laïcité auquel sont soumis les agents qui participent à une mission de service public au motif :

  • que la lettre de licenciement ne mentionnait pas que les opinions exprimées par la salariée dans ces courriels auraient eu une incidence sur son emploi ou dans ses relations avec les usagers ou les collègues ;
  • et que l’employeur ne versait aucun élément tendant à prouver que les écrits de l’intéressée auraient été connus en dehors du cadre privé et à l’extérieur de la CPAM et que l’image de cette dernière aurait été atteinte.

Elle relève enfin que si le règlement intérieur interdisait aux salariés d’utiliser pour leur propre compte et sans autorisation préalable les équipements appartenant à la caisse, y compris dans le domaine de l’informatique, un salarié pouvait toutefois utiliser sa messagerie professionnelle pour envoyer des messages privés dès lors qu’il n’en abusait pas. Or, en l’espèce, la salariée n’avait envoyé que neuf messages privés en onze mois, ce qui ne pouvait être considéré comme excessif, « indépendamment de leur contenu ».

Pour toutes ces raisons, la Cour de cassation, confirmant l’arrêt d’appel, décide que le contenu des messages litigieux relevait de la vie personnelle de la salariée et ne pouvait ainsi justifier son licenciement.

Une solution dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation 

Si, moralement, cette décision peut déranger, elle s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation qui s’attache à protéger la correspondance privée des salariés, à rejeter toute forme d’immixtion de l’employeur dans leur vie privée dès lors qu’un fait tiré de leur vie personnelle ne constitue pas un manquement contractuel, et à préserver leurs libertés d’expression et d’opinion qui plus est lorsqu’elles n’interfèrent pas avec la sphère professionnelle. Ici, les courriels, nommés « personnels et confidentiels » avaient été envoyés à un groupe de personnes restreint et n’avaient pas vocation à devenir publics. Selon les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, si la salariée était tenue à un devoir de neutralité dans le cadre de ses fonctions, elle pouvait user de sa liberté d’expression et exprimer ses opinions dans un cadre privé, quelles qu’elles soient, dès lors que ces opinions ne transparaissaient pas dans l’exercice de son emploi et que la salariée ne tenait aucun propos raciste ou xénophobe dans la sphère professionnelle.

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Delphine de Saint Remy
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Des courriels racistes et xénophobes envoyés depuis la messagerie professionnelle relèvent de la vie personnelle du salarié dès lors qu’ils ont été échangés dans le cadre d’échanges privés restreints et qu’ils n’avaient pas vocation à être rendus publics.
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