Dans les entreprises comportant une section syndicale, l’employeur doit ouvrir des négociations périodiquement sur des thèmes précis.
Ainsi, il doit négocier tous les ans (ou selon une périodicité différente définie par accord « d’adaptation » qui ne peut excéder 4 ans) sur les thèmes suivants (C. trav., art. L. 2242-1) :
- la rémunération, notamment les salaires effectifs, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise ;
- l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la qualité de vie au travail et la qualité des conditions de travail (QVCT).
Outre ces thèmes de négociation, les entreprises ou groupes d’au moins 300 salariés (ou entreprises communautaires comportant un comité d’entreprise européen d’au moins 300 salariés et une entreprise d’au moins 150 salariés en France) doivent ouvrir des négociations tous les 3 ans (ou selon une périodicité différente définie par un accord « d’adaptation » qui ne peut excéder 4 ans) sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (C. trav., art. L. 2242-2).
A l’initiative de l’employeur ou à la demande d’une organisation syndicale représentative, une négociation peut être engagée afin d’aménager les modalités de la négociation obligatoire dans le groupe, l’entreprise ou l’établissement. La durée maximale de cet accord « d’adaptation » (également appelé parfois accord de méthode) est fixée à 4 ans (C. trav., art. L. 2242-10 et L. 2242-11).
En l’absence d’accord « d’adaptation » ou de non-respect de celui-ci, la loi fixe une périodicité propre à chaque bloc que l’employeur doit appliquer (voir ci-avant). Le contenu de ces négociations lui est également imposé en l’absence d’accord « d’adaptation » ou si le contenu de chacun des thèmes fixés par l’accord est imprécis ou lacunaire.
L’accord d’établissement bénéficie, depuis le 24 septembre 2017, de la même valeur qu’un accord d’entreprise. Toutes les négociations obligatoires peuvent donc se dérouler également au niveau de l’établissement ou de l’entreprise (C. trav., art. L. 2232-11 et L. 2232-12).
Le choix d’une négociation par établissement ou groupe d’établissements, était déjà possible avant 2017, au moins en matière de négociation sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée. Toutefois, une circulaire ministérielle avait précisé que la négociation par établissement ou groupe d’établissements ne pouvait être choisie que s’il y avait accord entre toutes les parties (Circ. 5 mai 1983 : JO, 3 juill.).
L’acceptation par les organisations syndicales d’une négociation effectuée par établissement avait été confirmée par les tribunaux avant la publication des ordonnances Travail de 2017. En effet, la Cour de cassation affirmait que la négociation annuelle « doit être engagée au niveau de l’entreprise », en conséquence l’employeur ne pouvait engager la négociation au sein des établissements qu’autant qu’aucune organisation syndicale d’établissements ne s’y opposait (accord unanime) (Cass. soc., 21 mars 1990, n° 88-14.794 ; Cass. soc., 12 juill. 2016, n° 14-25.794).
Aujourd’hui, l’article L. 2242-10 du Code du travail prévoit, sans ambiguïté, qu’une négociation portant sur le calendrier, les thèmes, la périodicité et les modalités des négociations obligatoires peut être engagée, à l’initiative de l’employeur ou à la demande d’une organisation syndicale de salariés représentative, dans le groupe, l’entreprise ou l’établissement. En outre, cette décentralisation du niveau de négociation à un échelon inférieur à l’entreprise sans accord unanime semble non seulement prise en considération par une partie de la doctrine mais également par certains juges du fond (TGI Nanterre, 13 juill. 2017, n° 17/01790).
Un accord « d’adaptation » peut-il prévoir un niveau de négociation inférieur à l’entreprise ? Dans l’affirmative, est-il valable même s’il n’est pas unanime ? Dans un arrêt du 3 avril 2024, la Cour de cassation répond clairement à ces deux questions.
Dans cette affaire, un accord collectif d’adaptation portant sur la négociation des statuts collectifs au sein d’une société est signé le 16 décembre 2019 par deux des trois organisations syndicales représentatives dans l’entreprise. Aux termes de cet accord, il est identifié trois périmètres de négociations correspondant à l’organisation opérationnelle de la société : la division industrie, la division tertiaire et la division centre de services partagés, toutes trois composées de plusieurs établissements distincts de l’entreprise.
Le 21 septembre 2020, la société engage les négociations annuelles obligatoires (NAO) au niveau de deux premières divisions. L’organisation syndicale non-signataire de l’accord d’adaptation fait part à l’entreprise de son opposition au déroulement de ces négociations à un échelon infra-entreprise. Celle-ci maintient toutefois les négociations. Invoquant un trouble manifestement illicite, l’organisation syndicale demande alors, en référé, que l’employeur soit contraint d’engager les NAO au niveau de l’entreprise. Sa demande est rejetée aussi bien en appel que par la Cour de cassation.
Après avoir rappelé les grands principes évoqués ci-avant, la Cour de cassation précise « qu’un accord collectif négocié et signé aux conditions de droit commun peut définir, dans les entreprises comportant plusieurs établissements distincts, les niveaux auxquels la négociation obligatoire visée à l’article L. 2242-1 du Code du travail est conduite ».
La Cour d’appel avait relevé, à bon droit, qu’il s’agissait bien d’un accord d’adaptation majoritaire précis qui :
- identifiait les niveaux et périmètres de négociation ;
- précisait les sujets de négociation ;
- fixait les modalités de désignation des délégués syndicaux habilités à représenter leurs organisations syndicales au niveau de chaque périmètre.
Cet accord d’adaptation, majoritaire, était donc valable et les négociations pouvaient être engagées aux niveaux infra-entreprises qu’il définissait, sans avoir besoin d’une unanimité de la part des organisations syndicales représentatives.
En adoptant cette position, la Cour de cassation respecte l’esprit de la loi Rebsamen et des ordonnances Travail qui ont eu pour objet de permettre aux entreprises de mener plus librement des négociations de proximité, à un échelon décentralisé, pour prendre en compte leurs spécificités et adopter des mesures plus en adéquation avec l’activité et les besoins des salariés. Du reste, admettre qu’une seule organisation syndicale représentative puisse empêcher un accord collectif majoritaire serait revenu à recréer un droit d’opposition majoritaire.
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