Inscrit à l’article L.3312-6 du Code du travail, le dispositif d’intéressement de projet, qui concernait à l’origine un projet commun à plusieurs entreprises, a été élargi par la loi Pacte en 2019 du 22 mai 2019, de sorte qu’il peut désormais aussi concerner un projet interne à l’entreprise.
Dans un questions-réponses publié le 18 avril 2024 sur son site internet, le ministère du travail apporte des précisions sur les modalités de mise en place de l’intéressement de projet, reprises pour l’essentiel du Guide de l’épargne salariale de 2014 (dossier 1, fiche 7, p. 37 s.) mais adaptées sur certains points aux évolutions législatives intervenues entre-temps. Par ailleurs, il apporte des indications inédites sur l’intéressement lié à un projet interne à l’entreprise.
► Le QR se présente comme une « transcription » de l’article 17 de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 10 février 2023 sur le partage de la valeur. Dans cet article, les signataires de l’ANI entendaient promouvoir l’intéressement de projet, en soulignant que son développement « doit notamment permettre aux entreprises faisant largement appel à la sous-traitance d’inclure l’ensemble des salariés des entreprises concernées dans leurs dispositifs de partage de la valeur ».
L’article L.3312-6 du code du travail prévoit que « dans les entreprises ou les groupes disposant d’un accord d’intéressement et concourant avec d’autres entreprises à une activité caractérisée et coordonnée, un accord peut être conclu pour prévoir que tout ou partie des salariés bénéficie d’un intéressement de projet ».
Le questions-réponses donne des exemples de projets pouvant faire l’objet d’un intéressement : réalisation d’un chantier, construction d’une usine ou d’un ouvrage d’art à laquelle participeraient plusieurs sociétés partenaires, projets industriels réunissant donneurs d’ordres et sous-traitants, conception d’une nouvelle automobile, réalisation d’un événement culturel (QR n° 1).
Il souligne également que l’intéressement de projet peut être mis en place dans une seule entreprise si, par exemple, les autres parties prenantes ne souhaitent pas mettre en place un tel intéressement (article L.3312-6, al. 2 du code du travail). Dans ce cas, l’accord d’intéressement doit obligatoirement faire référence au projet commun, tout en réservant le bénéfice de l’intéressement aux seuls salariés de l’entreprise (QR n° 2).
L’administration rappelle que la mise en place d’un intéressement de projet est subordonnée à une condition impérative : que l’entreprise soit déjà couverte par un accord d’intéressement « classique » (article L.3312-6, al. 1er du code du travail). Il peut s’agir d’un accord d’entreprise ou d’un accord de groupe dont le périmètre est plus large que celui de l’intéressement de projet. Autrement dit, il n’y a pas nécessairement d’adéquation entre le périmètre de l’accord de projet et de l’accord d’intéressement « classique ». De plus, il n’est pas nécessaire que l’accord d’intéressement « annonce » l’accord de projet (QR n° 6).
► L’administration a déjà indiqué que l’intéressement de projet doit faire l’objet d’un accord spécifique (circulaire DSS/DGT 2007/199 du 15 mai 2007). Ce point ne figure pas dans le Guide ni dans ce QR, mais il est évoqué dans la réponse concernant la mise en place de l’intéressement de projet interne (voir ci-dessous).
S’agissant des modalités de conclusion de l’accord d’intéressement de projet, le QR distingue différentes situations lorsque plusieurs entreprises le mettent en place.
Lorsque les entreprises parties prenantes au projet font partie d’un même groupe, l’intéressement est mis en place par un « accord de groupe » dont le périmètre correspond aux entreprises parties prenantes du projet, accord qui est conclu selon les modalités prévues pour l’accord d’intéressement à l’article L.3312-5 du code du travail (article L.3312-6, al. 2 du code du travail) (QR n° 7).
► Le QR utilise l’expression « accord de groupe » mais semble envisager, comme le faisait le Guide de l’épargne salariale de 2014, le fait que chaque entreprise concernée adopte l’accord, dans les mêmes termes, selon l’une des quatre modalités distinctes prévues à l’article L.3312-5, I. Il ne mentionne pas la possibilité de conclure un accord de groupe au sens strict tel qu’envisagé par le code du travail (articles L.2232-30 à L.2232-35 du code du travail). Selon nous, il est possible de conclure un tel accord de groupe pour un intéressement de projet, de même qu’il est possible de conclure un accord interentreprises pour des entreprises n’appartenant pas au même groupe (voir ci-dessous).
Lorsque les entreprises parties prenantes au projet ne font pas partie d’un même groupe, le ministère du travail indique que le législateur a renvoyé les modalités de conclusion à celles de mise en place des plans d’épargne interentreprises (PEI). Il précise ainsi que dans ce cas, l’accord d’intéressement de projet peut être conclu (QR n° 8) :
- avec les délégués syndicaux selon les modalités des articles L.2232-36 à L.2232-38 du code du travail : il s’agit des dispositions relatives aux accords interentreprises. Cette possibilité n’était pas mentionnée auparavant par la doctrine administrative car le régime de l’accord interentreprises a été introduit dans le Code du travail par la loi 2016-1088 du 8 août 2016 ;
- avec les représentants des organisations syndicales représentatives dans l’entreprise ;
- au sein du CSE ;
- à la majorité des deux-tiers des salariés qui participent au projet.
► Les dispositions applicables sont difficilement lisibles du fait d’un jeu de renvois successifs. L’article L.3312-6 al. 2 du code du travail (intéressement de projet) renvoie en effet à l’article L.3333-2 (mise en place d’un PEI), qui renvoie lui-même aux articles L.3332-3 et L.3332-4 (mise en place du PEE), qui renvoient eux-mêmes à l’article L.3322-6, lequel prévoit les modalités de conclusion de l’accord de participation identiques à celles prévues pour un accord d’intéressement « classique » (article L.3312-5, I du code du travail). En mentionnant la conclusion d’un accord interentreprises, l’administration semble écarter l’hypothèse d’un accord d’entreprise. Pourtant, il nous semble possible que chaque entreprise choisisse une modalité de conclusion différente, parmi lesquelles figure l’accord d’entreprise, la possibilité d’un accord interentreprises venant s’ajouter depuis 2016 aux autres modalités.
Attention : dans tous les cas, l’intéressement de projet ne peut pas être mis en place par décision unilatérale de l’employeur, l’administration précisant qu’il doit être négocié (QR n° 9). Le code du travail exclut en effet explicitement la décision unilatérale d’intéressement (admise depuis la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020) pour l’intéressement de projet (article L.3312-5, II dernier. al. du code du travail).
En cas d’adoption de l’accord par ratification aux deux tiers du personnel, l’administration rappelle que la consultation s’organise, contrairement aux accords d’intéressement « classiques », avec les seuls salariés de l’entreprise qui participent au projet (QR n° 10). Le code du travail dispose en effet que la majorité des deux-tiers requise pour la ratification s’entend sur les personnels entrant dans le champ d’application du projet (article L.3312-6, al. 3 du code du travail).
Les conditions d’application du régime social et fiscal de l’intéressement de projet sont les mêmes que pour l’intéressement « classique » : l’accord doit donc être signé par les entreprises impliquées au plus tard le dernier jour de la première moitié de la période de calcul (article L.3314-4 du code du travail), période de calcul qui coïncide avec la durée de l’accord de projet, et être déposé dans les 15 jours suivant cette date (QR n° 11). La durée et la période de calcul de l’accord peuvent être distinctes de celles prévues pour l’intéressement « classique », sans pouvoir excéder cinq ans. Cette durée et période de calcul correspondent normalement à la durée du projet, estime l’administration (QR n° 11). Elle admet toutefois la possibilité que plusieurs périodes de calcul se succèdent pendant la durée d’application de l’accord, lorsque le processus du projet permet d’isoler différentes phases dans sa réalisation (QR n° 12).
S’agissant des bénéficiaires de l’intéressement de projet, l’accord peut concerner soit la totalité des salariés de la ou des entreprises parties prenantes du projet, soit une partie des salariés en question (article L.3312-6, al. 2 du code du travail). Le QR indique à titre d’exemple, repris du Guide de 2014, qu’il est possible d’inclure dans ce champ la totalité des salariés d’une première entreprise, un établissement d’une deuxième et une unité de travail d’une troisième (QR n° 3).
En revanche, il exclut la possibilité de définir les bénéficiaires selon les catégories professionnelles. Le champ d’application peut ne concerner qu’une partie des salariés de l’entreprise, mais il doit s’agir de l’ensemble des salariés concourant au projet. Le principe du caractère collectif de l’intéressement s’oppose à la définition d’un champ couvrant une seule catégorie professionnelle de salariés (QR n° 4).
Comme pour l’intéressement « classique », le « fléchage par défaut » de l’intéressement vers un plan d’épargne d’entreprise (PEE), interentreprises (PEI) ou de groupe (PEG), s’il en existe, s’applique à l’intéressement de projet lorsque le bénéficiaire ne demande pas son versement immédiat de la prime ou son affectation au plan (QR n° 17).
Sans changement par rapport au Guide de l’épargne salariale de 2014, le QR rappelle que les dispositions de l’intéressement « classique » s’appliquent à l’intéressement de projet s’agissant des modalités de calcul (QR n° 13), des critères de répartition, qui peuvent être différents suivant les entreprises concernées (QR n° 14), de l’information des salariés (QR n° 18) et du suivi de l’accord (QR n° 19). Le QR rappelle également que l’intéressement de projet, comme l’intéressement « classique », répond à la règle de non-substitution à un élément de rémunération (article L.3312-6, al. 6 du code du travail, renvoyant à l’article L.3312-4) (QR n° 5). Il signale des modifications législatives sur le plafond de versement annuel par bénéficiaire égal à 75 % du Pass (QR n° 16) et la date limite de versement, au plus tard le dernier jour du 5e mois suivant la fin de la période pour une période au moins égale à l’année civile (QR n° 15).
La loi Pacte a élargi le dispositif d’intéressement de projet en prévoyant qu’il puisse être lié à un projet interne à l’entreprise. Le quatrième alinéa de l’article L.3312-6 du code du travail ajouté par cette loi prévoit ainsi que « dans les entreprises disposant d’un accord d’intéressement, cet accord peut comporter un intéressement de projet définissant un objectif commun à tout ou partie des salariés de l’entreprise ».
Au vu de la rédaction de l’article L.3312-6, on pouvait se demander si l’intéressement de projet interne devait obligatoirement faire l’objet d’un accord spécifique complémentaire, à l’instar de l’intéressement de projet commun à plusieurs entreprises.
Le ministère du travail indique qu’un accord complémentaire spécifique n’est pas nécessaire. De plus, l’intéressement de projet interne s’inscrit à l’intérieur de l’accord d’intéressement « classique », mais la loi n’impose pas que le projet soit défini dès la conclusion de l’accord d’intéressement initial : rien ne s’oppose à la conclusion d’un avenant ultérieur (QR n° 21).
Le QR précise que l’avenant est conclu selon les modalités prévues à l’article L.3312-5 du code du travail pour l’accord lui-même : accord collectif de travail, accord avec les représentants d’organisations syndicales représentatives dans l’entreprise, accord au sein du CSE ou ratification à la majorité des deux-tiers du personnel.
Dans le cas de la ratification, l’ensemble du personnel de l’entreprise est consulté, et pas seulement les seuls salariés concernés par le projet comme c’est le cas en cas de projet interentreprises (QR n° 22).
Concernant la durée de l’intéressement de projet, l’administration estime que ce dernier ne peut pas avoir pour effet de proroger l’accord d’intéressement initial.
Si le projet interne est d’une durée supérieure à celle de l’accord d’intéressement, il faut qu’il soit possible d’isoler différentes phases dans sa réalisation, pour qu’au moins l’une d’entre elles soit en concordance avec la durée de l’accord d’intéressement (QR n° 23).
Selon l’administration, la loi prévoit qu’un accord d’intéressement ne peut comporter qu’un seul intéressement de projet interne concomitamment. En effet, la volonté du législateur est que le projet interne faisant l’objet de l’intéressement soit spécifique à l’entreprise et essentiel pour la collectivité de travail, telle la refonte d’un système informatique. Il ne peut pas correspondre à l’activité normale de l’entreprise, indique le questions-réponses (QR n° 24).
► L’article L 3312-6 du code du travail dispose en effet qu’ »un » intéressement de projet interne, au singulier, peut être mis en place, définissant un objectif commun « à tout ou partie des salariés de l’entreprise ». Le projet ne concerne donc pas nécessairement toute l’entreprise. Selon nous, une lecture littérale des textes ne devrait pas interdire pas la coexistence de plusieurs intéressements de projet concernant des domaines d’activités différents, par exemple un projet informatique et un projet commercial.
En revanche, le ministère du travail considère qu’il est possible de conclure plusieurs intéressements de projet successivement pendant un même accord d’intéressement, dont la durée d’application peut atteindre cinq ans et qui peut se renouveler par tacite reconduction (article L.3312-5 du code du travail). Ainsi, précise le QR, une fois un projet terminé, si l’accord d’intéressement est toujours en cours de validité ou s’est renouvelé par tacite reconduction, une entreprise peut intégrer à son accord un nouvel intéressement de projet interne, pour un nouveau projet (QR n° 25).
L’intéressement de projet interne peut-il avoir des modalités de répartition différentes de l’intéressement « classique » mis en place dans l’entreprise ? L’administration indique que oui, la loi n’imposant pas d’adéquation des modalités de répartition entre les deux types d’intéressement. Lorsque ces modalités sont identiques, le QR préconise de préciser néanmoins dans l’accord les modalités de répartition pour chacun des deux types d’intéressement, pour la bonne information des salariés (QR n° 26).
Commentaires récents