Dans le contexte politique actuel, propice à une forme de «libération de la parole», les signalements de propos racistes ou homophobes s’accumulent. Dans l’entreprise, lorsqu’ils sont le fait de salariés, ces propos ne peuvent pas être tolérés par l’employeur. Une réaction immédiate s’impose.
Le salarié qui tient des propos racistes ou homophobes dans l’entreprise n’exprime pas une opinion : il commet une infraction réprimée par les articles R 625-7 et suivants du Code pénal. En conséquence, le salarié qui exprime, dans l’entreprise, une opinion raciste ou homophobe ne peut pas prétendre exercer sa liberté fondamentale d’expression (CA Versailles 11-2-2003 n° 02-293).
Le salarié se rend également coupable de discrimination à l’égard de sa victime, protégée par l’article L 1132-1 du Code du travail. Celle-ci peut donc rechercher la responsabilité de l’employeur sur ce fondement.
Exemple —————————————————————————————————————
La Cour de cassation a récemment jugé que les propos à caractère raciste, tenant à la couleur de peau de la salariée qui en a été victime, tenus par sa supérieure hiérarchique, constituent des éléments laissant supposer une discrimination en raison de ses origines. Le fait que ces propos aient été tenus en dehors des horaires de travail, au cours d’un repas de Noël avec des collègues de travail, était indifférent car ils relevaient de la vie professionnelle de la salariée (Cassation 15-5-2024 n° 22-16.287).
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L’atteinte à la dignité de la victime
Sont proscrites les injures à caractère raciste ou homophobe visant un salarié de l’entreprise. Mais, plus généralement, tous les comportements à caractère sexiste ou xénophobe sont prohibés : refus de l’autorité d’un supérieur hiérarchique en raison de son origine ou de son orientation sexuelle, fait de véhiculer des stéréotypes, plaisanteries douteuses, etc.
Ces propos et attitudes sont en effet attentatoires à la dignité du salarié qui en est victime. Or la Cour de cassation veille scrupuleusement à ce que l’employeur évite tout comportement humiliant ou vexatoire à l’égard de ses salariés. Il doit en effet faire en sorte qu’ils aient une attitude respectueuse entre eux (voir notamment en ce sens Cassation 7-2-2012 n° 10-18.686).
A noter : Des injures racistes ou homophobes sont également punissables si elles sont proférées par un salarié à l’encontre d’un prestataire intervenant dans l’entreprise ou d’un client. Elles peuvent en effet ternir l’image de l’entreprise, ce qui justifie une réaction de l’employeur. Tel est le cas, par exemple, d’un salarié qui utilise la messagerie électronique de l’entreprise, faisant apparaître le nom de la société, pour tenir des propos antisémites à un client (Cassation 2-6-2004 n° 03-45.269).
La mise en jeu de l’obligation de sécurité de l’employeur
L’employeur est tenu à une obligation de sécurité (article L 4121-1 du Code du travail). Les juges considèrent qu’il manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail de violences morales exercées par l’un de ses collègues. En cas de risque avéré ou d’incident, l’employeur engage sa responsabilité, sauf s’il a pris les mesures de prévention nécessaires et suffisantes pour l’éviter, ce qu’il lui appartient de prouver (en ce sens, Cassation 25-11-2015 n° 14-24.444 ; Cassation 3-2-2021 n° 19-23.548).
L’employeur qui laisse un salarié proférer de telles injures ou adopter un tel comportement, sans prendre les mesures de prévention adéquates, manque donc à son obligation de sécurité et peut être condamné à indemniser la victime.
Exemple —————————————————————————————————————
Un employeur a été récemment condamné à verser 10 000 € de dommages-intérêts à un salarié victime de propos racistes et méprisants au sein de son équipe (CA Lyon 13-6-2024 n° 21/07945).
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Si la victime prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison d’injures racistes, celle-ci produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors que le manquement à l’obligation de sécurité est jugé suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail (Cassation 23-5-2013 n° 11-12.029). Même solution en cas de demande de résiliation judiciaire du contrat de travail motivée par l’inertie de l’employeur face aux propos homophobes dont était victime le salarié (CA Paris 2-7-2013 n° 11/05571).
L’employeur se doit de réagir immédiatement si un salarié se dit victime d’injures racistes ou homophobes ou fait état d’un environnement de travail hostile. Il doit en effet prendre les mesures nécessaires pour assurer à ce salarié des conditions de travail compatibles avec sa dignité. À défaut, son inertie peut lui être reprochée et justifier l’attribution de dommages-intérêts à la victime, voire la rupture du contrat de travail à ses torts.
Si l’employeur, alerté sur la situation, ne réagit pas rapidement et que les remarques ou attaques racistes ou homophobes se répètent, elles peuvent dégénérer en harcèlement moral et engager sa responsabilité (CA Versailles 10-11-2011 n° 11/00027 ; CA Paris 2-7-2013 n° 11/05571 ; CA Aix-en-Provence 12-5-2017 n° 15/06139).
A noter : Même si les injures racistes ou homophobes portent atteinte à sa dignité, le salarié ne doit pas se faire justice lui-même. Une réaction violente à de tels propos constitue une faute susceptible d’être sanctionnée (Cassation 7-7-2009 n° 08-41.238).
Que peut faire l’employeur pour lutter contre le racisme ou l’homophobie dans son entreprise ? En premier lieu, il a tout intérêt à mener régulièrement des campagnes de prévention et/ou de formation auprès des managers et de l’ensemble des salariés, notamment en leur rappelant les règles de savoir-vivre en entreprise et les risques encourus en cas de comportement raciste ou homophobe.
En cas de signalement d’un incident, l’employeur doit entendre la victime et les personnes qu’elle accuse, afin d’établir les faits. Il peut également charger les représentants du personnel d’une enquête, afin d’obtenir un avis impartial sur la situation.
Exemple —————————————————————————————————————
Un salarié ayant dénoncé le comportement homophobe de ses collègues a été débouté de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. L’employeur a en effet prouvé qu’il avait envoyé au personnel une lettre circulaire rappelant les incidences disciplinaires, voire pénales, susceptibles de résulter de tels comportements, puis convoqué les parties en associant l’inspecteur du travail à sa démarche. Les juges ont considéré qu’il avait rempli son obligation de prévention (CA Montpellier 15-5-2013 n° 11-06233).
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Ensuite, si les faits sont avérés, l’employeur doit prendre des mesures pour les faire cesser immédiatement. Si les faits ont eu lieu dans le cadre professionnel, il est en droit de faire usage de son pouvoir disciplinaire à l’égard du salarié coupable.
A noter : La Cour de cassation a toutefois récemment jugé que l’employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire et sanctionner un salarié qui tient des propos racistes dans des courriels adressés à des collègues, via la messagerie professionnelle, dès lors qu’il s’agit de messages privés couverts par le secret des correspondances. Les juges ont considéré, dans cette affaire, que le salarié s’était exprimé dans le cadre de sa vie personnelle et que les faits ne pouvaient pas constituer un manquement à une obligation contractuelle (Cassation 6-3-2024 n° 22-11.016). Cette décision a fait l’objet de nombreuses critiques, notamment en raison de la teneur des propos échangés par le salarié avec ses collègues.
Si le comportement du salarié est rattachable à sa vie professionnelle, l’employeur peut toutefois se placer sur le terrain disciplinaire. Par exemple, il a été jugé que l’employeur avait pu licencier pour faute un salarié ayant tenu des propos racistes après la journée de travail mais dans les locaux de l’entreprise (Cassation 16-10-2013 n° 12-19.670).
Le comportement raciste ou homophobe d’un salarié dans le cadre de sa vie privée peut toutefois avoir des conséquences au travail. En effet, si ce comportement crée un trouble caractérisé dans l’entreprise – par exemple si ses collègues s’en plaignent et refusent de travailler avec lui – l’employeur peut prononcer un licenciement non disciplinaire motivé par le trouble au bon fonctionnement de l’entreprise provoqué par cette attitude (en ce sens, Cassation 30-11-2005 n° 04-13.877 et n° 04-41.206 ; Cassation 16-9-2009 n° 08-41.837).
La Cour de cassation juge de manière constante que la tenue de propos racistes par un salarié est nécessairement fautive (Cassation 2-6-2004 n° 02-44.904). Cette faute est généralement jugée suffisamment grave pour justifier le licenciement immédiat, sans indemnités (Cassation 5-12-2018 n° 17-14.594 ; Cassation 8-11-2023 n° 22-19.049). Le Conseil d’état considère également que cette faute justifie une autorisation de licenciement d’un salarié protégé (CE 7-10-2022 n° 450492). La cour d’appel de Montpellier a récemment jugé qu’une telle faute justifie la rupture anticipée d’un contrat à durée déterminée (CA Montpellier 2-5-2024 no°21/01805). Les juges ne retiennent que peu souvent des circonstances atténuantes susceptibles de minorer le degré de gravité de cette faute. Par exemple, le salarié qui invoque la plaisanterie ou la simple grossièreté obtient rarement gain de cause auprès des tribunaux.
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