La notion de coemploi offre aux salariés la possibilité de mettre en cause une entité distincte de leur employeur afin qu’elle supporte, conjointement ou non avec celui-ci, les conséquences indemnitaires de manquements de l’employeur, en particulier dans un contexte de licenciement économique. La définition du coemploi est donnée par la jurisprudence.
Après avoir longtemps fait usage de la triple condition de confusion de direction, d’activités et d’intérêts, d’un maniement délicat, pour caractériser une situation de coemploi (notamment : arrêt du 2 juillet 2014 ; arrêt du 9 octobre 2019), la chambre sociale de la Cour de cassation, depuis 2020, fait de l’immixtion permanente d’une société dans la gestion économique et sociale d’une autre, entraînant la perte totale de l’autonomie de cette dernière, l’unique critère du coemploi. Ainsi, elle juge que « hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière » (arrêt du 25 novembre 2020 ; arrêt du 23 novembre 2022).
La définition ci-dessus a-t-elle vocation à s’appliquer lorsque la situation de coemploi est invoquée en dehors de l’existence d’un groupe entre des sociétés ayant seulement noué des relations commerciales ?
Dans cet arrêt du 9 octobre 2024, destiné à être publié au Bulletin de la Cour de cassation, la chambre sociale répond à cette question par l’affirmative. Elle l’avait déjà admis en 2021 dans un arrêt simplement diffusé, sans toutefois poser aussi clairement le principe (arrêt du 29 septembre 2021).
L’espèce ayant conduit à cet arrêt du 9 octobre 2024 concerne la Française des Jeux (FDJ). Celle-ci dispose d’un réseau pour la commercialisation de ses produits organisé autour de mandataires, personnes physiques ou morales, qui en assurent la distribution auprès de détaillants agréés (points presse, bureau de tabac etc.). Des salariés d’une des sociétés mandataires, licenciés pour motif économique, avaient saisi le conseil de prud’hommes afin, notamment, de faire reconnaître la qualité de coemployeur de la société FDJ. Ils soutenaient l’existence d’une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de l’employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de ce dernier. Ils faisaient valoir, pour cela, que celui-ci exerçait son activité avec des moyens matériels exclusivement fournis par la FDJ, qu’il s’agisse des matériels et programmes informatiques, des véhicules ou des matériels distribués aux détaillants, que la FDJ fixait les priorités commerciales et déterminait les plannings d’activité de ses cocontractants, qu’elle leur fixait des objectifs dont elle contrôlait la réalisation chaque semaine, qu’elle intervenait constamment pour leur imposer la marche à suivre auprès de chaque détaillant et que la formation des salariés était assurée directement par elle. Ils soutenaient également que leur licenciement était la conséquence de la réorganisation commerciale décidée par la FDJ entraînant la résiliation par celle-ci du contrat conclu avec leur employeur.
Ces arguments ont été rejetés par la cour d’appel. Celle-ci, après avoir relevé que la situation de monopole d’État de la société FDJ sur la commercialisation des jeux de loterie et de paris sportifs, son organisation centralisée et la coordination des actions commerciales et l’étroitesse des liens commerciaux qu’il induit ne permettent pas en eux-mêmes de retenir l’existence d’un coemploi, a notamment estimé que l’employeur des salariés, bien que tenu de se conformer à la politique commerciale définie contractuellement, restait libre de contracter ou non avec la FDJ, puis de gérer et d’administrer librement sa société et qu’il n’existait aucune immixtion dans sa gestion sociale, notamment en matière de recrutement ou de départ, de salaires, primes ou commissions, régimes sociaux, évolution de carrière, pas même occasionnelle, fait non contredit par les salariés.
Cette décision est confirmée par la Cour de cassation qui juge que « hors l’existence d’un lien de subordination, une société ne peut être qualifiée de coemployeur, à l’égard du personnel employé par une autre société, que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre elles et l’état de domination économique que peuvent engendrer leur relation commerciale, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière ».
Commentaires récents