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À l’issue d’un contrat précaire, il est interdit de conclure un nouveau contrat à durée déterminée (CDD) ou contrat de mission avant l’expiration d’un délai de carence (C. trav. art. L 1244-3 et L 1251-36). En cas de non-respect de ce délai, la requalification des contrats précaires en contrat à durée indéterminée (CDI) est encourue. Le Code du travail en écarte l’application dans certains cas limitativement énumérés (C. trav. art. L 1244-4-1 et L 1251-37-1), parmi lesquels l’exécution de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité.

Les dispositions légales ci-dessus, listant les cas dans lesquels le délai de carence est écarté, ne s’appliquent qu’à défaut de convention ou d’accord de branche étendu sur ce point (C. trav. art. L 1244-4 et L 1251-37). Un tel accord ne doit toutefois ni exclure systématiquement tout délai de carence (CE 27-4-2022 n° 440521) ni contourner l’interdiction de recourir au CDD ou au travail temporaire pour pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise (C. trav. art. L 1242-1 et L 1251-5), laquelle est d’ordre public (CE 19-5-2021 n° 426825).

Dans un arrêt publié du 15 janvier 2025 (pourvoi n° 23-20.168), la chambre sociale de la Cour de cassation réaffirme sa jurisprudence sur l’action en requalification exercée par le salarié à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire (ETT) en raison du non-respect par celle-ci du délai de carence entre deux contrats de mission. Ce faisant, elle rappelle l’étendue du contrôle de motivation qu’elle opère sur l’appréciation par les juges du fond des motifs du recours au contrat de mission.

Des contrats précaires successifs pour accroissement temporaire d’activité

En l’espèce, un salarié est mis à la disposition d’une société par son ETT suivant 15 contrats de mission successifs, du 7 janvier au 9 août 2019, tous motivés par un accroissement temporaire d’activité. Il est ensuite embauché sous CDD par l’entreprise utilisatrice, du 2 septembre au 31 décembre 2019, pour le même motif. Victime d’un accident du travail au début de son CDD, il est licencié fin 2019.

Le 3 mars 2020, le salarié saisit le conseil de prud’hommes de demandes en requalification de ses contrats de mission et de son CDD en CDI, et en paiement in solidum de diverses sommes au titre de cette requalification et de la rupture de son contrat de travail. Le salarié ayant obtenu gain de cause, les deux entreprises font appel du jugement. La cour d’appel fait droit à leur demande. À l’appui de son pourvoi, le salarié invoque le non-respect du délai de carence entre ses contrats de mission pour justifier leur requalification.

Le respect du délai de carence entre deux contrats de mission successifs incombe à l’ETT

Le délai de carence s’impose en cas d’accroissement temporaire d’activité

L’intérimaire s’appuie sur la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle les dispositions de l’article L 1251-40 du Code du travail, qui fondent l’action en requalification du salarié temporaire à l’encontre de l’entreprise utilisatrice lorsque celle-ci méconnait ses obligations, n’excluent pas la possibilité pour le salarié d’agir contre l’ETT lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’œuvre est interdite n’ont pas été respectées.

Ainsi, l’ETT ne peut conclure, avec un même salarié sur le même poste de travail, des contrats de mission successifs qu’à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour l’un des motifs limitativement énumérés par l’article L 1251-37 du Code du travail, au nombre desquels ne figure pas l’accroissement temporaire d’activité. Si cette condition n’est pas respectée, la requalification en CDI est encourue auprès de l’ETT (Cass. soc. 12-6-2014 n° 16-16.362 ; Cass. soc. 12-11-2020 n° 18-18.294 ; Cass. soc. 6-7-2022 n° 20-21.698).

Aux termes de l’article L 1251-40 du Code du travail, le salarié peut solliciter la requalification de ses contrats de mission en CDI auprès de l’entreprise utilisatrice lorsque celle-ci méconnaît les dispositions des articles L 1251-5 à L 1251-7, L 1251-10 (cas de recours), L 1251-11, L 1251-12-1, L 1251-30 et L 1251-35-1 (fixation du terme et durée) du Code du travail ou les stipulations des conventions et accords de branche conclus en application des articles L 1251-12 et L 1251-35 du même Code.

La cour d’appel déboute le salarié de ses demandes. Ayant constaté qu’il n’apparaît pas que les contrats de mission ont été conclus pour la réalisation de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité au sens de l’article L 1251-37 du Code du travail, elle retient pourtant que l’entreprise utilisatrice ne pouvait pas s’affranchir des délais de carence qui n’avaient pas été respectés. Elle juge ainsi que le non-respect des délais de carence ne constitue nullement une cause de requalification des contrats de mission en un CDI et ne forme qu’un indice allant dans le sens de la violation de l’interdiction de pourvoir durablement à l’activité normale et permanente de l’entreprise par le recours au travail temporaire.

L’ETT manque à ses obligations en ne respectant pas le délai de carence

Ces motifs sont censurés par la Cour de cassation, qui rappelle ici sa jurisprudence visée ci-dessus en précisant que, si la réalisation de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité permet la conclusion de contrats successifs avec le même salarié sur le même poste sans délai de carence, tel n’est pas le cas de l’accroissement temporaire d’activité.

En statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel n’a donc pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations. Le respect du délai de carence prévu par l’article L 1251-36 du Code du travail s’imposait et l’ETT a failli à ses obligations en ne l’observant pas. Le salarié était donc légitime à demander la requalification de ses contrats de mission en CDI auprès de l’ETT.

A noter : Comme l’a souligné l’avocat général référendaire dans son avis joint à l’arrêt, la cour d’appel a motivé son refus de la requalification exclusivement à partir d’éléments propres à l’entreprise utilisatrice. « Bien que reconnaissant l’existence d’un manquement au délai de carence, cette confusion l’a conduite à apprécier ce manquement dans le chef de la seule entreprise utilisatrice et à ne se fonder que sur les seules règles propres à l’action en requalification dirigée contre celle-ci […] ». Or, en tout état de cause, le salarié ne pouvait se fonder sur le non-respect du délai de carence par l’entreprise utilisatrice pour obtenir une requalification des contrats de mission en CDI auprès d’elle, l’article L 1251-36 du Code du travail ne figurant pas au nombre des dispositions limitativement énumérées par l’article L 1251-40 du Code du travail. La Cour de cassation considère de longue date que les dispositions de l’article L 1251-40 du Code du travail ne sont pas applicables à la méconnaissance par l’utilisateur de celles relatives au délai de carence (Cass. soc. 23-2-2005 n° 02-44.098 ; Cass. soc. 29-3-2023 n° 21-21.317), même dans le cas de la succession d’un contrat de mission et d’un CDD (Cass. soc. 27-9-2023 n° 21-21.154).

La chambre sociale profite de l’occasion pour préciser que la conclusion de contrats successifs avec le même salarié sur le même poste sans délai de carence ne vaut qu’à défaut de stipulation contraire dans la convention ou l’accord de branche conclu en application de l’article L 1251-37 du Code du travail. Elle complète ainsi son analyse pour tenir compte de la nouvelle rédaction de cet article issue de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017. Soulignons qu’en l’espèce, comme dans les litiges ayant donné lieu aux arrêts antérieurs, la Haute Juridiction était invitée à abandonner sa jurisprudence, l’ETT soutenant que ce sont les dispositions conventionnelles applicables dans l’entreprise utilisatrice qui déterminent l’éviction du délai de carence et qu’en conséquence les obligations propres à ce délai relèvent uniquement de l’utilisateur.

Ainsi, si l’existence-même et les modalités de calcul d’un délai de carence entre deux contrats de mission sont susceptibles de dépendre d’une convention collective ou d’un accord de branche de l’entreprise utilisatrice, en l’absence de dispositions conventionnelles, les dispositions légales, qui sont similaires à celles en vigueur avant l’ordonnance de 2017, sont applicables. Par cette décision, la Cour de cassation affirme ainsi qu’elle n’entend pas, dans cette hypothèse, revenir sur sa jurisprudence antérieure.

A notre avis : Cette solution doit être approuvée dès lors que le travail temporaire n’est qu’une dérogation à la prohibition du prêt de main-d’œuvre à but lucratif et que les ETT ne sont autorisées à mettre à la disposition d’entreprises utilisatrices des salariés intérimaires qu’à la condition de respecter les obligations qui sont mises à leur charge, sous peine de sortir du champ d’application du travail temporaire et d’encourir la sanction de la requalification du contrat de mission en CDI, qui est la forme normale et générale de la relation de travail.

Les contraintes de la commande publique ne suffisent pas à caractériser l’accroissement temporaire d’activité

Le second moyen à l’appui du pourvoi concerne le motif de recours au contrat de mission. Le salarié intérimaire faisait valoir que l’entreprise utilisatrice ne pouvait recourir de façon systématique aux contrats précaires pour faire face à un besoin structurel de main-d’œuvre. Pour le débouter de ses demandes en requalification de ses contrats de mission en CDI auprès de l’entreprise utilisatrice, la cour d’appel considère que le recours à des salariés intérimaires peut être autorisé pour les besoins d’une ou de plusieurs tâches résultant de l’accroissement temporaire d’activité de l’entreprise, notamment en cas de variations cycliques de production, sans qu’il soit nécessaire que l’accroissement présente un caractère exceptionnel.

Pour les juges du fond, l’entreprise utilisatrice justifiait suffisamment qu’elle se trouvait contrainte par la commande publique à constituer très rapidement des équipes pour intervenir sur des chantiers dont elle ne pouvait prévoir ni la durée ni la taille. Dès lors, le recours à l’intérim pendant 7 mois n’a pas eu pour effet ou pour objet de pourvoir durablement à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice soumise aux cycles irréguliers de la commande publique. En cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat (Cass. soc. 28-11-2007 n° 06-44.843).

Tel n’est pas, là encore, l’avis de la chambre sociale, qui casse l’arrêt d’appel. Elle rappelle en premier lieu qu’il résulte des articles L 1251-5, L 1251-6 et L 1251-40 du Code du travail que la possibilité donnée à l’entreprise utilisatrice de recourir à des contrats de mission successifs avec le même salarié intérimaire pour répondre à un accroissement temporaire d’activité ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente (Cass. soc. 21-10-2020 n° 19-23.139).

Elle considère ensuite que les motifs tirés des contraintes de la commande publique mis en avant par l’utilisateur ne suffisaient pas à caractériser, d’une part, un accroissement temporaire d’activité, d’autre part, un contrat n’ayant ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

A noter : Si les juges du fond sont souverains pour apprécier les éléments de fait et de preuve qui leur sont soumis pour établir la réalité de ce motif, la chambre sociale rappelle avec cet arrêt que dans le cadre de son contrôle de motivation elle vérifie que les motifs retenus sont suffisants à caractériser que l’accroissement temporaire d’activité n’avait pas pour objet de pourvoir à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice. Or, elle estime, en l’espèce, que ces éléments n’étaient pas réunis.

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La rédaction sociale
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L’entreprise de travail temporaire qui conclut des contrats de mission successifs pour accroissement temporaire d’activité sans respect du délai de carence manque à ses obligations. Dès lors, la requalification des contrats en CDI doit être prononcée à son égard.
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