La Défenseure des droits, Claire Hédon, a publié le 6 février une décision-cadre sur le recueil des signalements et l’enquête interne en cas de discrimination (incluant le harcèlement sexuel qui constitue une discrimination fondée sur le sexe et donc entrant dans le champ d’intervention de la Défenseure des droits). Elle y rappelle l’importance de mettre en place une méthodologie très précise permettant de respecter les principes de confidentialité, d’impartialité, d’objectivité et de rigueur.
Le premier rouage indispensable de cette procédure est la mise en place d’un dispositif d’écoute et de recueil des signalements (comme l’impose l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010). Les salariés doivent pouvoir y accéder facilement que ce soit par email avec une adresse dédiée, par téléphone ou bien encore en permettant un accueil physique.
► Si le dispositif est externalisé ou mutualisé, les salariés ne doivent pas avoir à se déplacer dans une autre commune.
La plateforme de recueil des signalements doit être accessible à tous les salariés, qu’ils soient en CDI ou en CDD, qu’ils soient intérimaires ou stagiaires. Les personnes qui ont quitté l’entreprise et les candidats à une procédure de recrutement doivent également y avoir accès.
Le salarié – victime ou témoin – conserve bien sûr la possibilité de signaler les faits litigieux directement à son responsable hiérarchique, au RRH, au référent compétent en la matière, aux représentants du personnel ou au médecin du travail.
L’employeur doit veiller à ce que les salariés soient dûment informés de l’existence de ces dispositifs et ce, de manière régulière : lettre d’information interne, site internet, information avec les bulletins de paie, présentation lors de réunions etc.
Il est recommandé de demander à la personne qui dépose un signalement de le faire par écrit – à des fins probatoires – mais également dans l’intérêt de l’enquête interne. La victime pourra ainsi y mentionner la chronologie des faits, les témoins potentiels, les attestations recueillies, les comptes rendus de réunions etc. Tout cela tout en veillant à bien garantir la stricte confidentialité des informations données.
La cellule d’écoute, un cadre de confiance |
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Il convient de bien distinguer le dispositif de signalement de la cellule d’écoute. De par son objet, cette dernière doit « constituer un cadre de confiance qui n’engage pas la victime ou le témoin à poursuivre son signalement et doit lui permettre d’obtenir une première information juridique ». Cette cellule d’écoute a aussi un rôle d’information et d’orientation. |
► Il est indispensable de veiller à l’absence de lien direct ou indirect, présent ou passé, entre les personnes concernées par les faits signalés et les membres de la cellule d’écoute ou du dispositif de recueil du signalement.
La Défenseure des droits accorde une importance toute particulière à l’enquête interne et de bien la mener dans les règles de l’art, sous peine de générer des risques. « Une enquête défaillante, notamment sans mesures de protection conservatoires, peut entrainer une dégradation ou une aggravation de l’état de santé [de la victime présumée], la contraindre à travailler avec celui ou celle qu’elle met en cause voire entrainer la suspension ou la rupture de son contrat de travail ». Le risque est également qu’une enquête bâclée entraine une reproduction des faits. L’employeur s’expose quant à lui à une dégradation du climat social et à la survenance de risques psychosociaux.
La Défenseure des droits ne préconise pas l’ouverture systématique d’une enquête. Elle n’apparait indispensable que « si le signalement nécessite des investigations complémentaires ». Toutefois rares sont les situations de discrimination ou de harcèlement sexuel qui ne nécessitent pas une enquête, reconnait-elle, car les faits sont souvent complexes : versions contradictoires, situations à huis clos, crainte de mesures de représailles etc.
Déclenchement de l’enquête
L’employeur doit faire preuve de célérité et ouvrir l’enquête dans un délai bref après le signalement des faits. La Défenseure des droits recommande un « délai raisonnable après signalement de deux mois ». Si une enquête pénale ou civile est ouverte, l’employeur ne peut pas en attendre les résultats avant d’entamer sa propre enquête interne. Tout comme un classement sans suite ou une relaxe n’exonère pas forcément l’employeur de mener une enquête. Il convient de bien distinguer faute professionnelle et infraction pénale.
► Attention ! La tardiveté du signalement par rapport aux faits dénoncés ne permet pas à l’employeur de renoncer à toute enquête interne.
Le fait que le salarié soit en arrêt maladie ou ait quitté l’entreprise ne permet pas non plus à l’employeur de se dispenser de réaliser une enquête.
Il est recommandé à l’employeur de fixer précisément – en amont – la méthodologie de l’enquête interne en la formalisant dans une décision prise après information des IRP.
La Défenseure des droits considère que l’ensemble des personnes concernées doivent être informées de l’ouverture d’une enquête : la victime présumée et la personne mise en cause « sauf s’il existe un risque de pression de la part du mis en cause sur les victimes présumées et/ou témoins ».
Obligation de confidentialité
Qu’il s’agisse de l’employeur ou des enquêteurs, ces derniers doivent faire preuve de discrétion lors du déroulement de l’enquête, notamment sur tous les éléments qui relèvent de la vie privée des personnes concernées.
► Attention toutefois, certains faits commis hors des temps et lieux de travail peuvent se rattacher à la vie professionnelle et donner lieu à une enquête interne.
La confidentialité suppose d’ailleurs de choisir le bon cadre : pas de lieu public, ni d’open space ou de salles de réunions vitrées. La confidentialité suppose également de respecter l’anonymat des personnes auditionnées. L’employeur doit toutefois conserver une version du dossier non anonymisée en cas de contentieux ultérieur.
Choix de l’enquêteur
L’une des questions cruciales est de savoir qui va mener l’enquête : le service en charge des RH ? De l’éthique ? Ou faut-il l’externaliser à un avocat, un cabinet de juristes ou de psychologues ?
La Défenseure des droits recommande a minima que l’enquête soit menée par au moins deux personnes afin de garantir l’objectivité et l’impartialité. Mais également de privilégier le recours à une personne extérieure au service dans lequel se sont déroulés les faits afin que ce dernier puisse faire preuve de distance et de neutralité. En revanche, si la direction ou des personnes du service habituellement chargé d’enquêter sont elles-mêmes mises en cause par un signalement, l’enquête devrait être confiée à un prestataire extérieur.
► A noter : si l’employeur décide d’impliquer les représentants du personnel, ces derniers doivent pouvoir participer aux choix méthodologiques à tous les stades de l’enquête.
Il est en tous les cas indispensable que les enquêteurs disposent de compétences juridiques et notamment aient suivi une formation actualisée sur les discriminations au travail et le harcèlement sexuel.
Quel que soit le choix fait, l’employeur doit veiller à n’exercer aucune pression sur les enquêteurs.
Auditions
La liste des personnes auditionnées est également un élément sensible de l’enquête.
Doivent être auditionnés :
- la victime présumée ;
- la personne mise en cause ;
- les témoins pertinents y compris les témoins indirects ;
- les responsables hiérarchiques directs.
Et, si leur audition est utile :
- le médecin du travail ;
- d’anciens collègues ;
- les représentants du personnel ;
- l’inspection du travail.
► Attention ! La confrontation entre les salariés concernés est à proscrire compte tenu des risques psychosociaux !
La procédure d’enquête vise à vérifier s’il existe un faisceau d’indices convergents laissant supposer l’existence d’une discrimination ou d’un harcèlement sexuel.
Attention : la victime présumée n’a pas à apporter de preuves. C’est à la personne mise en cause de renverser la présomption ainsi établie.
A cet effet, chaque étape de l’enquête doit être retranscrite par écrit. La Défenseure des droits recommande notamment une retranscription écrites des auditions ,des comptes rendus qui doivent être relus et signés par la personne auditionnée.
Les enregistrements clandestins ne doivent pas être écartés ; ils peuvent désormais être pris en compte sous certaines conditions posées par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 décembre 2023.
L’ensemble des éléments recueillis doivent figurer dans le rapport ainsi que les faits allégués, leur signalement, les mesures de protection mises en place, les difficultés rencontrées,…
Ce rapport peut être transmis :
- à la hiérarchie si des mesures doivent être mises en oeuvre ;
- aux représentants du personnel chargés des questions de santé et de sécurité ;
- à la victime présumée (tout du moins une synthèse).
S’agissant des témoins, ils doivent être informés de la fin de la procédure.
Reste la dernière étape – et non des moindres – celle visant à qualifier les faits. Il revient à l’employeur de le faire et non à l’enquêteur. La Défenseure des droits recommande « une appréciation objective, neutre et loyale de l’ensemble des éléments portés à leur connaissance lors de lors de l’enquête interne et d’en tirer les conséquences sur la qualification des faits ».
Enquêter est une chose, protéger la santé de la victime pendant la période d’enquête en est une autre.
D’une part, l’employeur doit réagir dès le premier signalement de la victime présumée ou d’un témoin.
D’autre part, l »employeur qui a une obligation de sécurité à l’égard de ses salariés doit prendre les mesures nécessaires afin d’éviter une dégradation de l’état de santé du ou de la salariée concernée, en lien avec la médecine du travail, comme par exemple l’aménagement du poste ou sur les mesures à mettre en place au retour du salarié si ce dernier est en arrêt de travail.
Il convient également d’éloigner la personne mise en cause. L’employeur doit permettre à la victime présumée de ne pas côtoyer la ou les personnes qu’elle a mise(s) en cause dès le stade de l’enquête. Si des changements doivent être apportés aux conditions de travail, ils doivent affecter la personne mise en cause plutôt que la victime présumée. Une mise à pied conservatoire un placement en télétravail peuvent ainsi être envisagés.
Enfin, il convient de rappeler le plus tôt possible à la victime présumée et aux témoins par écrit l’interdiction de mesures de représailles.
La sanction en droit du travail doit intervenir dans un délai de deux mois. Toutefois, en cas d’enquête, « le point de départ du délai de deux mois est alors reporté au jour de la remise à l’employeur du rapport d’enquête ». L’enquête ne doit pas non plus s’éterniser ; la Défenseure des droits préconise de conclure l’enquête dans des délais les plus brefs possibles.
► La Défenseure des droits recommande de ne pas entamer la procédure disciplinaire avant la fin de l’enquête interne.
La sanction doit être effective, proportionnée et dissuasive et la victime doit en être informée.

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