La Cour de cassation vient de se prononcer sur la validité d’une clause du contrat de travail assez peu courante, prévoyant que le salarié s’engage à effectuer tout déplacement entrant dans le cadre de ses fonctions.
La clause litigieuse est insérée dans le contrat à durée indéterminée de chantier conclu avec un charpentier. Cette stipulation permet à l’employeur, malgré l’embauche du salarié pour un chantier déterminé, de l’affecter temporairement, pour les besoins de son activité, sur un autre site.
► Pour rappel, le contrat de chantier est conclu pour une durée indéterminée en vue de la réalisation d’un ouvrage ou de travaux précis dont la durée ne peut pas être préalablement définie avec certitude. Le licenciement prononcé en raison de la fin d’un chantier ou de l’opération repose sur une cause réelle et sérieuse et est soumis à la procédure de licenciement pour motif personnel (article L.1223-8 du code du travail).
Mais à la fin du chantier pour lequel le salarié a été engagé, le contrat de travail se poursuit, se transformant ainsi en contrat à durée indéterminée de droit commun (CDI).
Quelques années plus tard, l’employeur affecte le salarié sur un chantier éloigné géographiquement, et celui-ci refuse.
L’employeur, se prévalant de la clause par laquelle le salarié s’est engagé à effectuer tout déplacement entrant dans le cadre de ses fonctions, le licencie pour faute grave. La cour d’appel juge ce licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
La première question soumise à la Cour de cassation est celle de savoir si la clause a ou non perdu son effet obligatoire lorsque le contrat de travail est devenu un CDI de droit commun.
La cour d’appel avait en effet retenu que cette clause, en ce qu’elle définissait des déplacements par rapport à un lieu de travail fixe, faisant référence à un chantier terminé depuis plusieurs années, avait perdu son effet obligatoire.
Ce raisonnement est censuré par la chambre sociale : la seule fin du chantier, si elle entraînait la poursuite du contrat en CDI de droit commun, laissait l’ensemble des clauses contractuelles intactes. Elle ne pouvait donc pas avoir eu pour effet de faire perdre à la clause son caractère obligatoire.
La décision de la Cour de cassation ne surprend pas, si on raisonne par analogie avec sa jurisprudence relative au CDD. Elle juge en effet, de manière constante, que la requalification d’un CDD en CDI ne porte que sur le terme du contrat et n’a pas d’effet sur les autres clauses du contrat, notamment sur la durée du travail (arrêt du 9 octobre 2013 ; arrêt du 5 octobre 2017). Tel est aussi le cas lorsque la relation contractuelle se poursuit en CDI sans nouveau contrat (arrêt du 28 mai 2008). Par exemple, la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat initial demeure applicable (arrêt du 5 janvier 1995).
Une fois la clause jugée valide, reste à en déterminer la portée. La réponse de la Cour de cassation à la deuxième question qui lui est posée permet de comprendre que cette clause, distincte de la clause de mobilité, peut avoir un intérêt pour le régime applicable aux déplacements occasionnels.
► A la différence de la clause de mobilité, la clause de déplacement occasionnel ne limite pas son champ d’application géographique (sur les critères de validité de la clause de mobilité, voir arrêt du 7 juin 2006 ; arrêt du 2 octobre 2019).
La Cour de cassation admet qu’un déplacement en dehors du secteur géographique où le salarié travaille habituellement (ou du champ fixé par une clause de mobilité) peut lui être imposé sous réserve d’une quadruple condition:
- le déplacement doit s’inscrire dans le cadre habituel des activités du salarié, dont les fonctions impliquent, par elles-mêmes, une certaine mobilité géographique (par exemple, pour un consultant, arrêt du 21 mars 2000 ; un chauffeur-livreur, arrêt du 23 octobre 2024) ;
- la mission doit être justifiée par l’intérêt de l’entreprise (arrêt du 22 janvier 2003 ; arrêt du 17 décembre 2008) ;
- le déplacement doit être occasionnel ou temporaire (arrêt du 17 février 2021) ;
- et le salarié doit être informé au préalable, dans un délai raisonnable, du caractère temporaire de l’affectation et de sa durée prévisible (arrêt du 15 mars 2006).
Le déplacement occasionnel qui respecte ces quatre conditions ne modifie pas le contrat de travail : le refus du salarié l’expose à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement (arrêt du 11 juillet 2012).
La Cour de cassation admet aussi qu’un déplacement occasionnel peut être imposé au salarié en cas de circonstances exceptionnelles, s’il est motivé par l’intérêt de l’entreprise et que la condition d’information préalable du salarié mentionnée ci-dessus est respectée (arrêt du 3 février 2010).
Dans ce contexte, le principal intérêt de la clause litigieuse est de participer à la définition de ce que le déplacement s’inscrit dans le cadre habituel de l’activité du salarié.
La Cour de cassation, s’appuyant sur les articles 1103 et 1104 (anciennement 1134) du code civil et L.1221-1 du code du travail, relatifs à la force obligatoire du contrat, censure la décision de la cour d’appel. Dès lors que le contrat de travail stipulait expressément que le salarié s’engageait à effectuer tout déplacement entrant dans ses fonctions, et que le déplacement qu’il a refusé s’inscrivait dans le cadre habituel de son activité de charpentier, le déplacement en cause ne modifiait pas son contrat de travail.
Cette solution confirme un précédent, ancien, selon lequel le contrat d’un ingénieur qualité pouvait contenir à la fois une clause fixant le lieu de travail à Toulouse et une autre stipulant que, conformément à la nature même des fonctions exercées par le salarié, il pourrait participer à des travaux d’assistance technique chez différents clients tant en France qu’à l’étranger (arrêt du 22 janvier 2003).
Il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de déterminer dans quelle mesure ce déplacement était justifié par l’intérêt de l’entreprise et de vérifier que le salarié a été prévenu dans un délai raisonnable et informé de la durée prévisible de la mission. Si tel était le cas, le refus opposé à l’employeur serait fautif.

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