La mise en place de conventions individuelles de forfait en jours sur l’année est subordonnée à la conclusion d’un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, de branche, qui détermine notamment les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail des salariés concernés (C. trav. art. L 3121-63 et L 3121-64).
La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation prévoit depuis 2011 que cet accord doit prévoir des stipulations qui assurent, d’une part, la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Cass. soc. 29-6-2011 n° 09-71.107 ; Cass. soc. 5-7-2023 n°s 21-23.387, 21-23.294 et 21-23.222) et, d’autre part, le caractère raisonnable de l’amplitude et de la charge de travail et une bonne répartition du travail dans le temps (Cass. soc. 17-1-2018 n° 16-15.124). Ces garanties passent par l’organisation d’un suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable. Ces exigences ont ensuite été intégrées dans le Code du travail par la loi 2016-1088 du 8 août 2016 (dite « loi Travail ») aux articles L 3121-60 et suivants.
Un salarié, engagé en octobre 1993 et occupant en dernier lieu le poste de responsable régional des ventes Antilles-Guyane, a saisi la juridiction prud’homale notamment d’une demande en rappel de salaires au titre des heures supplémentaires, estimant que la convention de forfait en jours à laquelle il était soumis n’était pas valable.
Cette convention de forfait a été conclue le 20 mars 2013 en application de l’accord collectif du 21 décembre 1999 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail. Or, cet accord collectif a été, par avenant du 19 avril 2013, adapté et révisé pour être mis en conformité avec les exigences jurisprudentielles en matière de suivi de la charge de travail. À la suite de cette révision, intervenue seulement un mois après la conclusion de la convention de forfait en jours, la société n’a pas conclu avec le salarié une nouvelle convention de forfait.
C’est précisément sur ce point que le salarié considère que sa convention de forfait est irrégulière. Il soutient que la validité de cette convention ne peut pas être analysée au regard des dispositions de l’accord révisé postérieurement à la conclusion de ladite convention. La cour d’appel n’a pas fait droit à sa demande. Les juges du fond ont considéré que sa convention de forfait était régulière, notamment dans la mesure où l’accord collectif révisé en 2013 respecte toutes les dispositions légales édictées par la loi 2016-1088 du 8 août 2016.
La Cour de cassation censure (pourvoi n° 23-21.832) la décision des juges du fond. Pour elle, à défaut de soumettre au salarié une nouvelle convention de forfait en jours postérieurement à la date de l’entrée en vigueur de l’avenant à un accord collectif, l’employeur ne peut se prévaloir des dispositions de ce texte postérieurement à cette date, en sorte que la convention de forfait en jours du salarié, fondée sur les dispositions conventionnelles antérieures à cet avenant, est nulle.
La chambre sociale de la Cour de cassation confirme, dans la présente espèce, une solution rendue dans un arrêt du 16 octobre 2019 dans lequel elle avait jugé que les dispositions d’un avenant à un accord de branche, conclu en 2014 et étendu le 1er avril 2016, ne pouvaient pas s’appliquer à une convention de forfait signée en 2011, sans qu’une nouvelle convention de forfait ait été conclue avec le salarié après le 1er avril 2016 (Cass. soc. 16-10-2019 n° 18-16.539). Pour ce faire, elle s’était prononcée, sans y faire expressément référence, sur le mécanisme de «sécurisation» des conventions de forfait en jours prévu par l’article 12 de la loi du 8 août 2016. Dans la note explicative de l’arrêt, elle avait indiqué avoir pris en compte ce mécanisme pour rendre sa décision.
A noter : Pour rappel, le I de cet article prévoit un mécanisme selon lequel, lorsqu’une convention ou un accord de branche ou un accord d’entreprise ou d’établissement conclu avant le 9 août 2016, date de publication de la loi du 8 août 2016, et autorisant la conclusion de forfaits annuels en heures ou en jours est révisé pour être mis en conformité avec l’article L 3121-64 du Code du travail, dans sa rédaction résultant de la présente loi, l’exécution de la convention individuelle de forfait annuel en heures ou en jours se poursuit sans qu’il y ait lieu de requérir l’accord du salarié.
Au regard de la rédaction de l’article 12, la Cour de cassation avait alors précisé dans sa note explicative que ce mécanisme de «sécurisation» ne pouvait pas s’appliquer aux révisions d’accords collectifs intervenues avant l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016. De la même manière, ce mécanisme de «sécurisation» ne s’appliquait pas dans le présent arrêt.
Par conséquent, une distinction temporelle doit être opérée en cas de révision de l’accord collectif pour le mettre en conformité avec les règles applicables en matière de suivi de la charge de travail :
– soit l’accord collectif de révision est conclu avant le 9 août 2016, date de publication de la loi du 8 août 2016, et une nouvelle convention de forfait doit être conclue avec le salarié ;
– soit l’accord collectif de révision est conclu à partir de cette date et la conclusion d’une nouvelle convention de forfait n’est pas nécessaire.
S’il ne fait aucun doute que l’accord du salarié est requis en cas de conclusion, avant le 9 août 2016, d’un accord de révision pour mise en conformité de l’accord collectif initial avec les exigences jurisprudentielles en matière de suivi de la charge de travail, qu’en est-il dans les autres cas ? Faut-il toujours obtenir l’accord du salarié à la suite de la signature d’un avenant ou, au contraire, distinguer entre modifications substantielles et non substantielles de l’accord ?
Même si elle peut entraîner des contraintes pratiques évidentes pour les entreprises, la conclusion d’une nouvelle convention de forfait à chaque révision de l’accord collectif, quel qu’en soit son objet, ne doit pas être exclue, pour au moins deux raisons. D’une part, les termes généraux employés dans l’attendu de principe peuvent permettre de penser que la solution ne se limite pas aux révisions d’accords collectifs relatives au suivi de la charge de travail. D’autre part, lors des débats parlementaires relatifs à la loi du 8 août 2016, un rapport du Sénat indiquait, hors le cas précis du mécanisme de «sécurisation» prévu à l’article 12, I, que « la modification d’un autre paramètre de l’accord collectif entraînera obligatoirement une révision de la convention individuelle et requerra l’accord du salarié concerné » (Rapport Sén. n° 661 p. 159).
Il est toutefois permis de s’interroger sur la nécessité de conclure une nouvelle convention de forfait en cas de modification de l’accord collectif qui pourrait être non substantielle, comme le passage d’un à deux entretiens annuels sur la charge de travail.
A noter : Les mêmes questions se posent en cas de révision d’un accord collectif prévoyant le recours aux forfaits annuels en heures.

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