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La réalité du suicide au travail a été récemment médiatisée avec la vague de suicides à France Télécom entre 2006 et 2011 ayant conduit à la condamnation des dirigeants de cette entreprise pour harcèlement moral institutionnel ou systémique.

Dans sa décision du 21 janvier 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation définit le harcèlement moral institutionnel comme « des agissements visant à arrêter et mettre en oeuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés afin de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés et d’altérer leur santé physique ou mentale, ou de compromettre leur avenir professionnel ».

Etaient en cause les deux grands plans de restructurations lancés par France Télécom – les programmes « NEXT » et « ACT » – visant au départ de 22 000 salariés sur un effectif de 120 000 dans l’entreprise sur trois ans par une méthode de déflation sociale.

Dans une fiche publiée le 9 septembre dernier, le ministère du travail érige la prévention du suicide au travail, c’est-à-dire en lien avec le travail ou survenant sur le lieu et temps du travail, en objectif prioritaire des pouvoirs publics mais aussi des employeurs et des instances représentatives du personnel.

Cette fiche alerte les employeurs sur l’importance d’une prévention des risques psychosociaux dans l’entreprise, ceux-ci pouvant engendrer stress et souffrance au travail et provoquer le passage à l’acte d’un travailleur. Elle rappelle également les conditions de prise en charge du suicide comme accident de travail ainsi que la possible condamnation de l’employeur pour faute inexcusable en cas de manquement à son obligation de sécurité. Des recommandations sont également délivrées pour les employeurs confrontés à la survenance d’un suicide d’un membre de la collectivité de travail.

L’obligation pour l’employeur de prévenir les risques psychosociaux

Le ministère du travail rappelle l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur en vertu de l’article L.4121-1 du code du travail. Celui-ci doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en mettant en oeuvre des actions de prévention des risques professionnels, en informant et formant les travailleurs et en adaptant l’organisation du travail en fonction des risques identifiés. 

L’administration appelle à une évaluation rigoureuse des risques psychosociaux

L’obligation de sécurité impose à l’employeur d’évaluer les éventuels facteurs de risques psychosociaux dans l’entreprise. Celui-ci doit transcrire et mettre à jour les résultats de cette évaluation dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP).

Le ministère du travail insiste sur l’importance de cette évaluation qui « constitue un moyen essentiel pour préserver la santé et la sécurité des travailleurs, grâce à un diagnostic systématique et exhaustif des risques ».

Cette formulation doit inciter l’employeur à une évaluation rigoureuse des risques psychosociaux, l’administration étant ainsi appelée à être exigeante dans son évaluation des mesures déployées par l’employeur.

Les risques psychosociaux peuvent être regroupés en six grandes familles :

  • exigence du travail : surcharge ou sous-charge, pression temporelle, objectifs flous ou inatteignables ;
  • exigence émotionnelle : relation à la clientèle, gestion des émotions, exposition à la souffrance ;
  • manque d’autonomie : absence de marge de manœuvre, contrôle excessif ;
  • rapports sociaux dégradés : conflits, isolement, absence de soutien hiérarchique ou collègue ;
  • conflits de valeurs : sentiment d’incohérence entre le travail demandé et ses valeurs professionnelles ;
  • insécurité socio-économique : crainte de la perte d’emploi, manque de reconnaissance.

Citant le rapport de juin 2020 de l’Observatoire national du suicide, le ministère du travail souligne le lien entre l’organisation du travail et les pratiques managériales et la souffrance au travail susceptible de conduire à un passage à l’acte.

Selon le Baromètre santé 2017 de Santé publique France, les pensées suicidaires liées à l’activité professionnelle sont associées aux menaces verbales, aux humiliations et aux intimidations au travail, à la peur de perdre son emploi ainsi qu’au fait d’avoir connu récemment une période de chômage de plus de 6 mois. 

Plusieurs leviers de prévention doivent être activés

Le ministère du travail insiste sur la nécessité de développer une approche à la fois collective et individuelle de la prévention du suicide au travail en raison de sa dimension plurifactorielle.

Les leviers collectifs reposent sur la prévention primaire des causes organisationnelles (charge de travail, horaires, autonomie, reconnaissance), le développement du dialogue social et l’implication des représentants du personnel, la formation de l’encadrement à la détection des signaux faibles (changement de comportement, isolement, fatigue inhabituelle, irratibilité…) ainsi que sur l’adaptation des méthodes de management pour réduire les sources de stress.

Les leviers individuels consistent dans la mise à disposition de soutien psychologique aux salariés en difficulté (ligne d’écoute, cellule de crise, accompagnement individuel), un accès facilité à la médecine du travail et aux services de santé au travail ainsi que l’incitation à la parole des salariés.

Ces mesures doivent être intégrées à la politique globale de l’entreprise en matière de santé et de sécurité au travail et faire l’objet d’une planification, d’une évaluation et de réajustements.

La fiche du ministère du travail signale l’existence d’une formation au secourisme en santé mentale ouverte à tous et délivrée par l’association PSSM-France, détentrice de la licence du programme Mental Health First Aid.

Le suicide peut constituer un accident du travail

Le suicide survenu au temps et au lieu de travail ou en lien avec celui-ci

La fiche du ministère du travail commence sur un rappel de la qualification possible du suicide ou de la tentative de suicide du salarié en accident du travail. Si ceux-ci surviennent au temps et au lieu de travail, ils sont présumés constituer des accidents de travail que l’employeur doit déclarer comme tel auprès de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Celle-ci les reconnaîtra comme accident du travail sauf si l’employeur démontre que la cause est totalement étrangère au travail.

► Ainsi, le suicide d’un salarié survenu au temps et au lieu de travail a été reconnu comme accident du travail malgré le départ récent de sa fille pour poursuivre ses études, ses difficultés financières l’ayant conduit à solliciter un prêt auprès de son employeur et le fait que celui-ci s’était déclaré satisfait de leur collaboration. Ces faits n’ont pas permis, en l’absence d’explication laissée par la victime à son geste, de considérer que son décès était totalement étranger à son travail (arrêt du 7-avril 2011).

La CPAM peut également reconnaître un suicide ou une tentative de suicide comme un accident de travail même s’ils sont survenus hors du temps et du lieu de travail dès lors qu’ils sont liés au travail.

► Par exemple, la Cour de cassation a considéré que la tentative de suicide survenue au domicile du salarié, tandis que ce dernier se trouvait en arrêt maladie en raison d’un syndrome anxio-dépressif lié à la dégradation continue de ses conditions de travail, constitue un accident de travail (arrêt du 22 février 2007).

La faute inexcusable de l’employeur peut être retenue

Indépendamment des poursuites pénales, la victime dans le cas d’une tentative de suicide ou ses ayants droit familiaux peuvent solliciter la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, devant le pôle social du tribunal judiciaire, en prouvant que l’employeur connaissait ou aurait dû connaître le danger auquel était exposé le travailleur et n’a pas pris toutes les mesures pour l’éviter.

Cette reconnaissance permet à la victime ou à ses ayants droits d’obtenir une majoration de leur rente et une indemnisation complémentaire de divers préjudices subis (préjudices esthétique et d’agrément, préjudice lié aux souffrances subies, perte ou diminution des chances de promotion professionnelles).

► Le suicide du salarié a pu ainsi être jugé comme dû à la faute inexcusable de l’employeur dès lors que celui-ci n’avait pris les mesures nécessaires pour mettre fin aux difficultés rencontrées par le salarié pour assurer ses fonctions : absence de réelle formation, décision tardive d’une nouvelle affectation, défaut de contrôle des horaires de travail et du respect du droit au repos quotidien (arrêt du 19 septembre 2013 ; voir aussi récemment, à propos d’un suicide lié à la politique managériale de l’employeur, arrêt du 25 septembre 2025).
En revanche n’a pas été considéré comme dû à la faute inexcusable de l’employeur :

  • le suicide du salarié en l’absence de tout signe d’alerte sur une dégradation de ses conditions de travail ou une souffrance au travail, la réalité d’une surcharge de travail n’étant pas démontrée et les auditions menées par les représentants du personnel ne mettant en évidence aucun problème managérial (arrêt du 18 juin 2015) ;
  • la tentative de suicide du salarié suite à un entretien avec le directeur des ressources humaines et le directeur technique de la société aux fins de lui remettre une convocation à un entretien préalable de licenciement sans qu’il soit démontré que l’employeur ait eu un comportement humiliant, violent ou vexatoire à l’égard du salarié lors de ces entretiens et que la réaction de l’intéressé, qui ne présentait pas d’antécédents personnel ou familial, n’était pas prévisible du seul fait qu’il s’était montré bouleversé à l’issue de cet entretien (arrêt du 31 mai 2012).
Comment l’employeur doit réagir en cas de passage à l’acte suicidaire ?

En cas d’événement suicidaire survenu au travail, l’employeur doit intervenir immédiatement pour protéger les salariés et respecter ses obligations légales.

Les mesures d’urgence auprès de la famille et de l’administration

En cas de suicide ou tentative de suicide d’un travailleur, l’employeur doit immédiatement prévenir les secours et sécuriser les lieux. Il doit également informer la famille et proposer un accompagnement psychologique. Le service de prévention et de santé au travail doit être alerté.

S’agissant de ses obligations administratives, l’employeur doit :

  • déclarer comme accident de travail dans les 48 heures à la CPAM le suicide ou la tentative de suicide si ceux-ci ont lieu sur le temps et le lieu de travail ;
  • en cas de décès, informer immédiatement et au plus tard dans les 12 heures l’inspection du travail ;
  • conserver toutes les pièces utiles à l’enquête de la CPAM.

L’accompagnement des salariés

Le ministère du travail souligne que le suicide d’un travailleur, même sans lien avec le travail, constitue un événement très déstabilisant, avec un risque pour la santé mentale des collègues, en particulier s’ils étaient proches de la victime ou s’ils en ont vu le corps.

Le deuil après suicide représente en lui-même un facteur majeur de passage à l’acte suicidaire. Il existe en effet un danger important de « contagion suicidaire » en cas de tentative ou de suicide au sein d’une équipe même si ceux-ci sont sans lien avec le travail. Le ministère du travail renvoie à la fiche consacrée à la contagion suicidaire sur le site du ministère de la santé.

L’employeur doit en premier lieu soustraire la scène du suicide ou de la tentative de suicide de la vue des travailleurs afin d’éviter tout traumatisme. Il doit également mettre en place un accompagnement psychologique via des cellules d’écoute ou l’intervention d’experts en concertation avec la médecine du travail, notamment pour les collègues directs de la victime ou les témoins de l’événement.

Ces mesures peuvent être inscrites dans un plan de « postvention » élaboré dans le cadre du plan d’action du DUERP, en amont de la survenue d’un suicide ou, plus généralement, d’un accident du travail grave ou mortel.

Ces mesures doivent être suivies d’une réévaluation des risques psychosociaux dans l’entreprise pour prévenir de nouveaux passages à l’acte.

Les enquêtes pouvant être diligentées

La fiche du ministère du travail énumère les différentes enquêtes susceptibles d’être diligentées dans un contexte de passage à l’acte (suicide ou tentative de suicide), indépendamment des démarches de l’employeur et du CSE :

  • l’enquête pénale qui a « pour objet de clarifier les faits et le contexte de l’événement, en vue de statuer sur le caractère suicidaire du décès (par opposition à l’homicide), afin de permettre au procureur de la République d’apprécier l’opportunité d’engager des poursuites pénales » ;
  • celle de l’inspection du travail visant à recueillir des éléments, des témoignages, et à constater d’éventuelles infractions de l’employeur au code du travail et donnant lieu, le cas échéant, à une transmission au procureur de la République ;
  • celle réalisée par la CPAM afin de déterminer le caractère professionnel du suicide ou de la tentative de suicide pour sa reconnaissance éventuelle en tant qu’accident de travail ;
  • celle effectuée par la Carsat, par la Cramif en Ile-de-France ou la CGSS dans les départements d’outre-mer pour rechercher les facteurs de risques relevant du travail, pour inviter l’employeur « à prendre toutes mesures justifiées de prévention » (article L.422-4 du code de la sécurité sociale).
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Signature: 
Cecilia DECAUDIN
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Dans une fiche publiée le 9 septembre dernier sur son site internet, le ministère du travail rappelle aux employeurs leur obligation en matière d’évaluation et de prévention des risques psychosociaux dans l’entreprise, ceux-ci pouvant déboucher dans les cas les plus extrêmes sur le passage à l’acte suicidaire d’un travailleur. La fiche dresse également la procédure d’urgence à suivre par l’employeur en cas de suicide auprès de l’administration, de la famille et aussi de la collectivité des travailleurs.
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