Il aura fallu une lettre rectificative et un amendement déposé le matin même en catastrophe par le gouvernement pour que le décalage de la réforme des retraites de 2023 soit voté à l’Assemblée nationale. Rappelons qu’à l’époque de la réforme, la Première ministre Elisabeth Borne l’avait fait passer en utilisant la procédure de l’article 49.3 de la Constitution, sans que les députés ne puissent s’exprimer. Il s’agit donc du premier vote sur le sujet, en dehors des résolutions d’abrogation adoptées en niches parlementaires.
Une fois que les groupes politiques se sont exprimés, le ministre du travail, Jean-Pierre Farandou, a relevé l’importance du débat sur les retraites avant d’ajouter que « la suspension n’est ni l’abrogation ni le déploiement initial de la réforme car elle suspend tous les paramètres jusqu’au 1er janvier 2028 ». Il a également fait un appel du pied aux partenaires sociaux qui « nous ont montré la voie dans le cadre de la conférence sur le travail et les retraites à travailler ces sujets, en commençant par le travail, le grand oublié des réformes précédentes. (…) Il faut donner leur chance aux partenaires sociaux, j’ai confiance dans leur capacité à converger ».
Le ministre a aussi indiqué que l’amendement du gouvernement inclut dans la suspension les catégories actives et super-actives de fonctionnaires (pompiers, policiers, égoutiers, infirmières, surveillants pénitentiaires par exemple). Plusieurs intervenants ont justifié leur refus de voter l’article en insistant sur la qualification de « décalage » et non de « suspension » comme Stéphane Peu (groupe Communiste) et Nicolas Sansu (gauche démocrate et Républicaine).
Le député socialiste Jérôme Guedj a invité l’hémicycle à reconnaître que des « millions de concitoyens » allaient bénéficier du vote de la suspension, avant d’ajouter : « Quand j’entends certains syndicats réformistes comme la CFDT nous indiquer que ce vote exprime l’attention portée au monde du travail, nous devrions l’avoir chevillée au corps ».
Après le rejet des amendements de suppression de l’article 45 bis, déposé par des députés Horizons, Les Républicains et le député Ensemble Karl Olive, l’amendement n° 2686 du gouvernement a été adopté par 250 voix pour, 108 voix contre. L’article 45 bis comprenant l’ensemble de la suspension de la réforme Borne a ensuite été adopté avec 255 voix pour, 146 voix contre.
Par ailleurs, plusieurs amendements adoptés suppriment l’article 44, à savoir le gel des pensions de retraite et des prestations sociales pour 2026.
L’amendement a modifié le projet d’article 45 bis de la lettre rectificative. Le gouvernement a étendu le bénéfice du décalage à la génération née le premier trimestre 1965. De sorte que la répartition de l’âge légal serait distribuée selon ce rythme (modifications en gras par rapport à la lettre rectificative).
| Génération | Age légal de départ | Nombre de trimestres |
| 1961 | 62 ans et 3 mois | 169 |
| 1962 | 62 ans et 6 mois | 169 |
| 1963 | 62 ans et 9 mois | 170 |
| 1964 | 62 ans et 9 mois | 170 |
| 31 mars 1965 | 62 ans et 9 mois | 170 |
| entre le 1er avril et le 31 décembre 1965 | 63 ans | 171 |
| 1966 | 63 ans et 3 mois | 172 |
| 1967 | 63 ans et 6 mois | 172 |
| 1968 | 63 ans et 9 mois | 172 |
La première génération à atteindre l’âge légal de départ serait donc celle née en 1969.
Le régime des carrières longues permet de moduler la durée de cotisation et l’âge légal de départ en fonction de l’âge auquel les assurés ont commencé à travailler : 16, 18, 20 et 21 ans. Par exemple, un assuré né en 1970 peut partir en retraite à 58 ans s’il a commencé à travailler à 16 ans, 60 ans s’il a commencé à 18 ans, 62 ans s’il a commencé à 20 ans et 63 ans s’il a commencé à 21 ans.
Selon l’exposé des motifs de l’amendement, ce dernier « permet également d’avancer l’entrée en vigueur de cette mesure aux pensions prenant effet à compter du 1er septembre 2026, de telle sorte que les assurés bénéficiant d’un départ anticipé, au titre du dispositif pour longues carrières, inaptitude et invalidité, puissent bénéficier de l’abaissement de la durée d’assurance requise prévue pour leur génération, à compter de cette date ». C’est donc par un jeu d’entrée en vigueur que le gouvernement inclut le régime des carrières longues dans le décalage de la réforme Borne, sans modification directe des articles L.355-1-1 et D.355-1-1 du code de la sécurité sociale.
D’après l’exécutif, le coût de l’ensemble de l’amendement serait de 400 millions d’euros en 2026 et 1,9 milliard d’euros en 2027, avec, a précisé le ministre Farandou, « 20 millions de bénéficiaires supplémentaires ».
A également été adopté à l’unanimité l’article 45 qui inscrit dans la loi le point d’accord issu du conclave sur les retraites. Il prend en compte des majorations de durée d’assurance pour enfant (maternité, éducation, adoption et congé parental) en tant que périodes réputées cotisées pour l’ouverture de droit à retraite anticipée pour carrière longue dans la limite de deux trimestres.
Il intègre également le nombre d’enfants des femmes dans le mode de calcul de leur salaire annuel moyen sur la base des 24 meilleures années de carrière pour les mères d’un enfant, et des 23 meilleures années de carrière pour les mères de deux enfants et plus au lieu des 25 meilleures années.
Ce vote a également été l’occasion pour les opposants au système par répartition de s’exprimer. Le secrétaire général de Renaissance et chef de file des députés Ensemble pour la République, Gabriel Attal, a annoncé sa volonté de déposer une proposition de loi instaurant un système universel de retraites.
L’ancien Premier ministre d’Emmanuel Macron, qui portait également une réforme de l’assurance chômage finalement abandonnée [pour l’instant mais reprise dans une proposition de loi], avait précisé ses intentions dans un entretien au quotidien économique Les Echos en juin dernier. « Universel, avec un seul régime inspiré du système à points, en corrigeant ses écueils. Libre, car notre modèle social devient un carcan : il faut plus de liberté. Et donc, permettre à ceux qui voudront partir plus tôt avec une décote importante, ou à ceux qui voudraient partir plus tard mais avec un bonus, de le faire », y précisait-il. Ce système serait fondé uniquement sur la durée de cotisation, et donc n’inclurait pas d’âge légal de départ.
Il propose également l’ajout d’une « part de capitalisation qui finance l’innovation et notre économie sur le long terme ». Enfin, Gabriel Attal anticipe deux modalités d’adoption d’un tel système : « Soit on considère qu’il est urgent de la mettre en place, et alors, c’est par référendum. Soit cela sera tranché par le débat de la prochaine élection présidentielle ».
► Rappelons que la conférence « travail et retraites » lancée par Jean-Pierre Farandou pourrait aussi évoquer le sujet, comme l’a fait le « conclave » organisé par François Bayrou.

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