04 94 31 40 01 contact@artemis-paie.fr
A la une

L’Assemblée plénière a rendu vendredi après-midi ses deux décisions sur la recevabilité – ou non – de preuves obtenues de manière « déloyale ». A cette occasion, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence. 

Pour un rappel des enjeux liés à cette décision, lire cette chronique.

Un enregistrement clandestin comme mode de preuve

Dans la première affaire qui lui était soumise, un responsable commercial « grands comptes » contestait son licenciement pour faute grave. En appel, les juges avaient déclaré irrecevables les preuves apportées à l’employeur au soutien du licenciement du salarié, ces preuves ayant été recueillies par des enregistrements clandestins et en avaient conclu au caractère injustifié du licenciement du salarié. Ces éléments permettaient d’attester que le salarié avait expressément refusé de fournir à son employeur le suivi de son activité commerciale, 

L’employeur a formé un pourvoi en cassation, arguant du fait « que l’enregistrement audio, même obtenu à l’insu d’un salarié, est recevable et peut être produit et utilisé en justice dès lors qu’il ne porte pas atteinte aux droits du salarié, qu’il est indispensable au droit à la preuve et à la protection des intérêts de l’employeur et qu’il a pu être discuté dans le cadre d’un procès équitable »

Une solution inchangée depuis 2011 en matière civile

La Cour de cassation était amenée à répondre à la question suivante : « est-ce qu’il doit être admis, sur le modèle de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’une preuve obtenue de manière déloyale peut, sous certaines conditions, être soumise au juge civil ? », la Cour de cassation soulignant dans le communiqué joint aux deux décisions du 22 décembre 2023 que « les nouvelles technologies ouvrent aux justiciables des perspectives supplémentaires sur la façon de rapporter la preuve de leurs droits, mais elles présentent aussi des risques inédits d’atteintes à des droits fondamentaux (vie privée, secret professionnel etc.) ». 

La position de la Cour de cassation, depuis un arrêt d’Assemblée plénière de 2011, obéissait à une règle : « lorsqu’une preuve est obtenue de manière déloyale, c’est-à-dire lorsqu’elle est recueillie à l’insu d’une personne, grâce à une manœuvre ou à un stratagème, un juge ne peut pas tenir compte de ce type de preuve ». 

La Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence

Mais à l’occasion de ce contentieux, elle fait évoluer sa position et se conforme ainsi au droit européen. Elle rappelle dans sa réponse à la question posée que « la Cour européenne des droits de l’homme ne retient pas par principe l’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales ». En effet, les juges européens estiment que, « lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d’autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence ».

Elle cite en second lieu la jurisprudence pénale aux termes de laquelle « aucune disposition légale ne permet au juge répressif d’écarter les moyens de preuve produits par des particuliers au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale » (arrêt du 11 juin 2002). 

Enfin, l’Assemblée plénière souligne « la difficulté de tracer une frontière claire entre les preuves déloyales et les preuves illicites » et cite une partie de la doctrine selon laquelle il existe un « risque que la voie pénale permette de contourner le régime plus restrictif des preuves en matière civile », suggérant ainsi « un abandon du principe de l’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales ».

La preuve obtenue de manière déloyale est recevable sous certaines conditions

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation décide ainsi que désormais « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ». 

Il s’agit, explique la Cour de cassation dans son communiqué, de « [répondre] à la nécessité de ne pas priver un justiciable de la possibilité de faire la preuve de ses droits, lorsque la seule preuve disponible pour lui suppose, pour son obtention, une atteinte aux droits de la partie adverse ».

La Cour de cassation renvoie ainsi les parties à l’affaire en cause devant une autre cour d’appel qui devra « procéder au contrôle de proportionnalité tel qu’énoncé » par la Cour de cassation sans pouvoir écarter d’emblée les preuves obtenues de manière déloyale comme l’avait fait la première cour d’appel.

 

Une preuve déloyale qui ne peut être invoquée s’agissant d’éléments relevant de la vie privée du salarié

La seconde affaire se présentait différemment car elle mettait en jeu la vie privée du salarié. 

En l’absence d’un salarié, son remplaçant avait découvert sur son compte Facebook, resté accessible sur son ordinateur professionnel, une conversation avec une autre salariée de l’entreprise selon laquelle le salarié absent Dans cette conversation, le salarié absent sous-entendait que la promotion dont avait bénéficié l’intérimaire était liée à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur hiérarchique. Le salarié intérimaire avait alors transmis cet échange à l’employeur ce qui avait entraîné le licenciement du salarié à l’origine de la conversation pour faute grave, en raison des propos insultants tenus, lors de cet échange électronique, à l’encontre de son supérieur hiérarchique et de son remplaçant. 

Dans cette affaire, l’Assemblée plénière refuse à l’employeur de pouvoir invoquer cet élément de preuve au soutien du licenciement du salarié. 

En effet, les juges rappellent « qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ». Ce qui n’était pas le cas en l’espèce. 

Dès lors décident les juges, « une conversation privée qui n’était pas destinée à être rendue publique ne pouvant constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, il en résulte que le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, est insusceptible d’être justifié ».

 Dans son communiqué, la Cour de cassation explique ainsi que « les juges n’avaient pas à s’interroger sur la valeur de la preuve provenant de la messagerie Facebook » et rappelle que « cette solution consolide une jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation ». 

 

Visuel réduit: 
Visibilite: 
privé
Signature: 
Florence Mehrez
Supports de diffusion: 
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation vient d’opérer un revirement de jurisprudence, ce vendredi 22 décembre. Elle accepte désormais que le juge civil puisse tenir compte d’éléments de preuve obtenus de manière déloyale et s’aligne ainsi sur la jurisprudence européenne.
Cacher le visuel principal ?: 
Non
Type de produit: 
Produit d’origine: 
Auteur extérieur: 
Thème d’origine: 
Application immédiate: 
Clone parent: 
790 318