Les entreprises devraient bientôt être fixées sur les règles applicables aux congés du salarié en cas de maladie après le rappel à l’ordre de la Cour de cassation le 13 septembre dernier qui a écarté le code du travail pour faire directement application du droit européen. Si le Conseil constitutionnel n’a rien trouvé à redire sur le droit existant, il n’a pas eu à juger les dispositions par rapport au droit de l’Union européenne. Et le gouvernement n’a pas le choix, il doit se mettre en conformité. C’est dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie et de finances, de transition écologique et de droit pénal, de droit social et en matière agricole que le gouvernement compte déposer un amendement en ce sens. Le texte, après avoir été adopté par le Sénat le 20 décembre 2023, doit être examiné à l’Assemblée nationale à compter du 18 mars. Si nous ne disposons pas à cette heure du texte du projet d’amendement gouvernemental, l‘avis très nourri du Conseil d’Etat, d’une quinzaine de pages, rendu le 11 mars, nous permet d’en savoir plus sur les intentions du législateur.
Le gouvernement a ainsi posé sept questions aux Sages de la rue Cambon.
Est-il possible d’instaurer un délai maximum de quatre semaines ?
La première question porte sur la possibilité de limiter à quatre semaines les congés acquis au cours d’une absence pour maladie non professionnelle.
Le Conseil d’Etat y apporte une réponse positive en appréciant la question au regard, d’une part, des exigences relatives à la durée minimale d’un congé annuel et, d’autre part, au regard des principes d’égalité et de non-discrimination.
S’agissant de la durée minimale des congés payés, le Conseil d’Etat se réfère à la jurisprudence de la CJUE qui a indiqué qu’accorder des congés supérieurs à quatre semaines « ne [procède] pas à une mise en oeuvre de cette directive au sens de l’article 51, paragraphe 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union ». Dès lors en conclut le Conseil d’Etat, « le droit de l’Union européenne ne peut être interprété comme imposant des droits à congés payés annuels de plus de quatre semaines ».
S’agissant du principe d’égalité et de non-discrimination, et notamment de la différence introduite entre le salarié absent en raison d’une maladie non professionnelle et les autres salariés, le Conseil d’Etat rappelle la décision récente du Conseil constitutionnel du 8 février 2024, alors saisi de deux QPC, qui à cette occasion a écarté toute atteinte au principe d’égalité. Le Conseil d’Etat renchérit, estimant que le projet d’amendement gouvernemental « ne méconnaît pas le principe constitutionnel d’égalité, ni pour celle qu’il introduit avec les salariés en activité professionnelle ni pour celle qu’il introduit avec les salariés absents en raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ». Par ailleurs, le Conseil d’Etat indique que les dispositions envisagées par le Conseil d’Etat n’entrent pas dans le champ des discriminations interdites par le droit européen.
En conclusion, le gouvernement peut tout à fait décider de limiter à deux jours ouvrables par mois l’acquisition de congés payés pendant une période de maladie non professionnelle. Il reste toutefois possible de prévoir un mécanisme qui conduirait à l’acquisition de droits à congés payés au-delà de quatre semaines.
Est-il possible de prévoir un effet rétroactif à cette durée limitée à quatre semaines ?
La deuxième question porte sur la possibilité d’appliquer aux situations passées la limite de quatre semaine de congés payés par une disposition législative à effet rétroactif.
Afin de répondre à cette question, il convient de distinguer deux périodes.
La première du 25 novembre 1996 au 30 novembre 2009. Cette période correspond au délai courant de la fin du délai de transposition de la directive 93/104/CE auquel se réfère la directive 2033/88/CE – le 25 novembre 1996 – à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 – le 1er décembre 2009 – aux termes duquel la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dont l’article 31 paragraphe 2 qui dispose « que tout travailleur a droit (…) à une période annuelle de congés payés » a acquis la même valeur que les Traités.
Le Conseil d’Etat estime qu’une entrée en vigueur rétroactive ne s’impose pas pour cette période.
La seconde à compter du 1er décembre 2009, date à partir de laquelle tous les travailleurs ont pu invoquer directement à l’égard de leur employeur un droit à congés payés d’au moins quatre semaines par an quand bien même ils auraient été malades au cours de l’année d’acquisition des droits à congés payés. Pendant cette période, la nouvelle législation ne pourrait pas produire d’effets rétroactifs, indique le Conseil d’Etat. En effet, cela méconnaîtrait les stipulations d’effet direct de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Aucune dérogation en faveur du salarié ou en faveur de l’employeur ne peut donc produire d’effet rétroactif avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions.
Le Conseil d’Etat suggère toutefois au gouvernement de compléter son projet d’amendement afin de prévoir, s’agissant des droits à congés non définitivement acquis (qui résultent de périodes de maladie non professionnelle survenues lors de période de référence déjà expirées à la date d’entrée en vigueur de la loi) que le salarié ne se voie reconnaître que le nombre de jours de congés supplémentaires lui permettant, s’il n’a pas déjà atteint au moins 24 jours de congé annuel payé au titre des périodes de travail effectif ou de périodes que la loi y assimilait déjà, d‘atteindre ce nombre sans pouvoir le dépasser.
Le gouvernement souhaite également savoir s’il peut imposer un délai maximum de report des congés acquis avant ou pendant un arrêt maladie et, le cas échéant, la durée de ce report, son point de départ et la possibilité de prévoir deux délais de report différents selon la durée de l’arrêt maladie.
Une chose est sûre : prévoir un délai de report est obligatoire. Le Conseil d’Etat rappelle ainsi que la CJUE interdit à une législation nationale de prévoir l’extinction automatique des droits à congés payés annuels acquis par le salarié à l’issue de la période de référence si le salarié n’a pas été en mesure de les prendre. Dans tous les cas, les Etats membres doivent prévoir une période de report s’agissant des droits acquis antérieurement à une absence pour cause de maladie, ainsi que pour les congés acquis au cours de l’absence du salarié en raison d’une maladie.
Quelle doit être la durée de ce report ?
Le délai de report doit être d’une durée « suffisante », indique le Conseil d’Etat afin de « permettre au salarié d’échelonner et de planifier l’ensemble de ses congés, lesquels comportent aussi ceux correspondant aux droits qui sont nés pendant son absence pour maladie ».
Est-il possible de prévoir un régime spécifique pour les arrêts maladie de longue durée ?
Le Conseil d’Etat rappelle que la CJUE accorde un régime différent aux salariés absents pour maladie pendant une très longue durée, correspondant à plusieurs périodes de référence consécutives d’acquisition de congés payés. Dans ce cas, elle admet que le report ne peut pas être illimité, car alors cela ne répondrait plus à la finalité du repos des congés payés. « Elle admet que les droits acquis lors d’une absence pour maladie et dont la période de report expire alors que le salarié est encore absent à raison de cette maladie, soient définitivement perdus pour ce dernier, alors même qu’il n’a pas été en mesure de les exercer et que son employeur n’a pu lui fournir, en raison de la suspension de son contrat de travail, aucune information », indique le Conseil d’Etat. Attention toutefois, cette exception n’est admise par la CJUE qu’à la condition que la période de report, calculée à partir de la fin de la période de référence, soit substantiellement plus importante que celle-ci ». A titre d’exemple, pour une période de référence d’un an, la CJUE a admis une période de report de 15 mois.
Que prévoit le texte gouvernemental ?
Le gouvernement, dans son projet d’amendement, envisage deux situations :
- celle du report des droits à congés qui n’ont pu être utilisés partiellement ou intégralement pendant la période de prise des congés payés sur une période de 15 mois qui débute à la reprise effective du travail sous réserve que l’employeur en informe le salarié ;
- celle des droits à congés qui naissent pendant des arrêts maladie de longue durée, pour lesquels un même délai de report de 15 mois est prévu mais dont le point de départ se situe à la fin de la période d’acquisition des droits. Les droits à congés expireraient définitivement à l’issue de ce délai même si le salarié est encore absent en raison de sa maladie et que l’employeur n’a pu l’informer de ses droits.
Quel est l’avis du Conseil d’Etat sur ces dispositions ?
Le Conseil d’Etat estime que dans le cas où les droits à congés acquis avant l’arrêt maladie et dont la période d’acquisition expire à un moment où le salarié est encore en arrêt maladie :
- le début de la période de report doit être postérieur à la date de la reprise du travail ;
- ainsi qu’à celle à laquelle l’employeur aura informé le salarié de ses droits à son retour et du délai dont il dispose pour les prendre.
Dans le cas où les droits sont acquis au cours de la période de maladie :
- la période de report peut débuter à la fin de la période d’acquisition des droits si le salarié n’a pas repris le travail ;
- à l’issue de la période de 15 mois les congés s’éteindraient quand bien même l’employeur n’aurait pas pu en informer le salarié. Toutefois, si l’employeur est en mesure de fournir cette information avant que les droits à congés payés n’arrivent à extinction (si le salarié revient dans l’entreprise postérieurement à la fin de la période de référence mais avant la fin de la période de 15 mois) alors le point de départ se situe au jour où l’employeur en a informé le salarié.
Est-il possible d’appliquer de manière rétroactive le délai de report de 15 mois ?
Le Conseil d’Etat estime qu’il est possible de prévoir une durée maximale de report pour les droits acquis avant et après l’entrée en vigueur de la loi (avec application des règles distinctes selon que l’arrêt maladie est de longue durée ou non). Aucune règle de droit de l’Union européenne ne s’y oppose.
Le Conseil d’Etat rappelle qu’en matière d’indemnité compensatrice de congés payés, la prescription est de trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer. Lorsque le salarié est encore lié à son employeur au moment de sa demande (et demande donc l’exercice de son droit à congés et non une indemnité compensatrice), « la loi pourrait à titre transitoire faire obstacle à ce qu’en cas d’absence d’information du salarié par l’employeur sur l’étendue de ses droits, le point de départ du délai de report des congés antérieurement acquis soit indéfiniment repoussé ».
Le Conseil d’Etat estime « possible de prévoir que l’action du salarié qui est encore dans l’entreprise et qui demande le droit de prendre des congés au titre des dispositions introduites par le droit national par la loi de transposition, soit soumise à un délai de forclusion de deux ans à compter de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions législatives, applicable même en l’absence d’information de l’employeur ».
S’agissant d’une loi de validation qui viserait à éteindre les contentieux liés à des droits acquis pendant la période postérieure au 1er décembre 2009, le Conseil d’Etat indique qu’une telle loi violerait le droit de l’Union européenne en faisant obstacle à l’application de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
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