Dès 2011, la Cour de cassation a jugé que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (arrêt du 29 juin 2011). Pour tenir compte de cette jurisprudence, la loi Travail du 8 août 2016 a inséré dans le code du travail un principe d’ordre public : l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail (article L. 3121-60 du code du travail). Pour ce faire, de nouvelles mentions obligatoires de suivi/contrôle de cette charge ont dû être introduites dans les accords collectifs préalables à la conclusion d’une convention de forfait-jours (article L. 3121-64 du code du travail), avec un système de « rattrapage » si l’accord ne contient pas de telles mesures (article L. 3121-65 du code du travail, v. ci-après).
Mais quid des conventions en cours au jour de la publication de la loi ? Même non conformes à l’article L. 3121-64, elles ont continué à servir de fondement aux conventions individuelles de forfait, sous réserve pour l’employeur de respecter l’article L. 3121-65. C’est précisément de cette disposition transitoire dont il était question en l’espèce, concernant l’avenant n° 15 du 25 mai 2012 relatif au forfait annuel en jours des avocats salariés. Verdict ? Invalide car trop peu protecteur.
En l’espèce, une avocate salariée soumise à une convention de forfait-jours depuis 2013 avait formé une demande en rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, liée à la nullité de sa convention individuelle de forfait. Pour elle, aucun outil de contrôle de la charge de travail n’avait été mis en place par l’employeur pour garantir le bon équilibre vie professionnelle/vie personnelle.
L’employeur, à qui la cour d’appel avait donné raison, considérait de son côté que les dispositions prévues par le dispositif conventionnel servant de base à la convention étaient conformes aux exigences légales et jurisprudentielles. Pour encadrer le recours à la convention de forfait-jours, il faisait en effet application des avenants à la convention collective des avocats salariés n° 7 du 7 avril 2000 (relatif à la réduction du temps de travail) et n° 15 du 25 mai 2012 (relatif au forfait annuel en jours), d’un accord d’entreprise relatif à l’organisation du temps de travail du 14 mai 2007, et d’une charte des bonnes pratiques en matière d’organisation du temps de travail.
La salariée s’était alors pourvue en cassation, son moyen ne faisant toutefois pas mention de l’avenant de 2012. Celui-ci prévoyait notamment que :
- l’avocat doit organiser son travail pour ne pas dépasser 11h journalières, sous réserve des contraintes horaires résultant notamment de l’exécution des missions d’intérêt public ;
- le nombre de journées ou de demi-journées de travail sera comptabilisé sur un document de contrôle établi à échéance régulière par l’avocat salarié concerné selon une procédure établie par l’employeur ;
- l’avocat salarié bénéficie annuellement d’un entretien avec sa hiérarchie portant sur l’organisation du travail, sa charge de travail, l’amplitude de ses journées d’activité, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale et sa rémunération ;
- l’employeur ou son représentant doit analyser les informations relatives au suivi des jours travaillés au moins une fois par semestre ;
- l’avocat salarié pourra alerter sa hiérarchie s’il se trouve confronté à des difficultés auxquelles il estime ne pas arriver à faire face.
La Cour de cassation a malgré tout invalidé le dispositif conventionnel dans son intégralité : les textes qui le composent « ne permettent pas à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié ».
Si l’avenant de 2000 et l’accord d’entreprise de 2007 avaient déjà été jugés invalides par la Cour de cassation (arrêt du 8 novembre 2017), elle se prononçait ici c’est la première fois sur la validité de l’avenant du 25 mai 2012.
Une fois les accords collectifs encadrant le recours à la convention de forfait annuel en jours jugés insuffisants, pour reconnaître l’éventuelle nullité de cette convention la chambre sociale devait se prononcer sur les mesures de « rattrapage » prévues par la charte des bonnes pratiques. Pour rappel, face à un accord antérieur à la loi Travail ne respectant pas les prescriptions légales d’évaluation/suivi de la charge de travail, l’employeur peut tout de même poursuivre ou conclure une convention individuelle de forfait à condition :
- d’établir un document de contrôle mentionnant la date et le nombre de journées ou demi-journées travaillées;
- de s’assurer de la compatibilité de la charge de travail du salarié avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire ;
- d’organiser un entretien annuel avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération (article L. 3121-65 du code du travail).
Sur ce point, les juges du fond avaient considéré que « l’employeur avait complété l’ensemble des dispositions conventionnelles applicables par une charte des bonnes pratiques en matière d’organisation du temps de travail et qu’il était inexact que la salariée puisse affirmer qu’aucun outil de contrôle de la charge de travail n’avait été mis en place ». Insuffisant pour la chambre sociale, qui juge que la cour d’appel a retenu des éléments impropres à caractériser, d’une part, que la charte des bonnes pratiques était de nature à répondre aux exigences de l’article L. 3121-65 du code du travail et, d’autre part, que l’employeur avait effectivement exécuté son obligation de s’assurer régulièrement que la charge de travail de la salariée était raisonnable et permettait une bonne répartition dans le temps de son travail.
Une cour d’appel de renvoi devra donc se prononcer sur cette question. Mais outre le cas d’espèce, suite à notre arrêt ce sont aujourd’hui toutes les conventions individuelles de forfait conclues sur le fondement de l’avenant de 2012 qui encourent la nullité faute de mesures de rattrapage mises en place par l’employeur.
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