Les élections législatives se dérouleront les 30 juin et 7 juillet 2024. La campagne officielle débute le 17 juin et pourrait faire intervenir des candidats issus de la société civile. L’employeur peut-il limiter l’expression des opinions politiques sur le lieu de travail ? De quels droits bénéficie le salarié candidat aux élections ou élu ? Comment réintégrer un salarié élu ayant perdu son mandat avec la dissolution de l’Assemblée nationale ?
Les salariés sont libres de leurs opinions et peuvent les exprimer dans l’entreprise au temps et au lieu du travail. On ne peut y apporter de restrictions que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, et sont proportionnées au but recherché (article L 1121-1 du code du travail).
Ainsi, l’employeur ne peut pas interdire les discussions politiques entre collègues. Il a d’ailleurs été jugé que la clause du règlement intérieur de l’entreprise qui prohibe ce sujet de conversation entre salariés est illicite (CE 25-1-1989 n° 64296). Le règlement intérieur peut toutefois contenir une clause dite «de neutralité» , dès lors que les restrictions qu’elle prévoit sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise, et qu’elles sont proportionnées au but recherché (article L 1321-2-1 du Code du travail). En pratique, cette clause n’est le plus souvent admise que pour les salariés en contact avec la clientèle.
Si le salarié est libre d’exprimer des opinions politiques sur le lieu de travail, il est également en droit de taire ses convictions. De manière générale, l’employeur ne peut pas exiger d’un salarié qu’il émette une opinion ou qu’il prenne publiquement une position (Cassation 26-10-2005 n° 03-41.796). Toute sanction ou tout licenciement décidé en raison des opinions politiques du salarié est abusif. Ainsi jugé à propos de la rupture de la période d’essai d’un salarié motivée, non par un manquement à ses obligations professionnelles, mais par l’expression de ses opinions politiques au cours d’un repas à la suite d’une provocation intentionnelle de l’employeur (Cassation 27-6-1990 n° 86-41.009). Une telle mesure peut constituer une discrimination (article L 1132-1 du code du travail), l’employeur étant passible de sanctions pénales (article 225-1 à 225-4 du Code pénal).
A noter : Le salarié doit-il nécessairement être solidaire des engagements politiques de son employeur ? Il semble que non. Il a par exemple été jugé que, si un secrétaire parlementaire peut être tenu de s’abstenir de toute position personnelle pouvant gêner l’engagement politique de son employeur, on ne peut pas lui reprocher de se retirer de la liste électorale préparée par ce dernier en vue des élections (Cassation 28-4-2006 n° 03-44.527). De même, le salarié d’une association intercommunale est en droit d’apporter son soutien au candidat opposé au maire sortant d’une des communes membres de cette association (CA Grenoble 22-6-1992 n° 91-883).
L’engagement politique d’un salarié ne doit pas causer de troubles dans l’entreprise ni le conduire à commettre des fautes professionnelles. Tel est le cas, par exemple, lorsque le salarié s’absente de son poste pour distribuer des tracts électoraux (CA Paris 5-12-2013 n° 12-00973). Par ailleurs commet une faute grave le salarié d’un établissement pour personnes âgées qui, pendant ses heures de travail, exerce un militantisme politique actif en direction des personnes, psychologiquement fragiles, accueillies dans l’établissement et se fait remettre par l’un d’eux un chèque au profit d’une association collectant des fonds pour financer la campagne électorale d’un homme politique (CA Toulouse 4-3-2011 n° 09-6144).
De même est justifié par une faute grave le licenciement du salarié qui affranchit aux frais de l’employeur, à des fins personnelles et sans autorisation, des invitations dans le cadre d’une campagne municipale, créant pour l’entreprise un risque sérieux de poursuites pénales en matière de financement illégal d’une campagne électorale (CA Versailles 14-3-2012 n° 10-05816).
A noter : Si les faits se déroulent en dehors du temps et du lieu du travail, dans le cadre de la vie privée du salarié, l’employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. Par exemple, un salarié ne commet pas de faute en remettant à un collègue le programme du parti politique auquel il appartient, à l’issue d’un salon professionnel auquel ils participent (Cassation 29-5-2024 n° 22-14.779). En effet, le salarié n’a pas commis un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail, les faits relevant de sa vie privée. En revanche, l’employeur pourrait envisager un licenciement motivé par le trouble au bon fonctionnement de l’entreprise si, du fait de la remise de ce tract, des dissensions naissaient entre le salarié et ses collègues, les empêchant de travailler ensemble.
Le salarié candidat aux élections législatives a droit, quelle que soit son ancienneté, à un congé d’une durée maximale de 20 jours ouvrables pour participer à la campagne électorale. Pour en bénéficier, il doit avertir son employeur au moins 24 heures avant le début de chaque absence, ce congé pouvant être fractionné en demi-journées. L’employeur ne peut pas s’y opposer. Ces absences sont assimilées à une période de travail effectif pour la détermination des droits à congés payés ainsi que des droits liés à l’ancienneté (articles L 3142-79 à L 3142-82 du code du travail). Sur demande du salarié, ses absences peuvent être imputées sur les droits à congés payés qu’il a acquis à la date du premier tour de scrutin — cette année, le 30 juin 2024. À défaut, elles ne sont pas rémunérées mais donnent lieu à récupération, en accord avec l’employeur (article L 3142-81 du Code du travail).
Une fois élu, le salarié titulaire d’un mandat parlementaire bénéficie de droits à congés destinés à lui permettre d’exercer ses fonctions. Le salarié élu à l’Assemblée nationale peut suspendre son contrat de travail pendant la durée de son mandat s’il justifie d’une ancienneté chez son employeur d’au moins un an à la date de son entrée en fonction (article L 3142-83 du Code du travail).
A noter : Si l’ancienneté du salarié est inférieure à un an, il ne peut pas prétendre à la suspension de son contrat de travail. Or l’exercice d’un mandat parlementaire paraît difficilement conciliable avec l’exécution d’un contrat de travail. En outre, le Code électoral prohibe l’exercice de certaines activités pour limiter les conflits d’intérêts. Si le salarié élu ne prend pas l’initiative de rompre le contrat de travail et, accaparé par son mandat, ne vient plus travailler, l’employeur peut lui reprocher un abandon de poste. Dans ce cas, il peut prononcer un licenciement disciplinaire pour ce motif. Il peut également appliquer la procédure de présomption de démission prévue par l’article L 1237-1-1 du Code du travail, et mettre en demeure le salarié de justifier de son absence ou de reprendre le travail dans le délai qu’il lui impartit. Si le salarié ne répond pas, il est présumé démissionnaire. Si le salarié répond et justifie son absence par l’exercice de son mandat parlementaire, la question se pose de savoir si ce motif peut être considéré comme légitime et de nature à faire obstacle à la présomption de démission. Ce n’est probablement pas le cas, mais ni l’administration ni la jurisprudence ne se sont prononcées sur cette question. Un décret aurait dû préciser les conditions dans lesquelles les droits des salariés, notamment en matière de prévoyance et de retraite, sont conservés pendant la durée du mandat (article L 3142-86 du code du travail). Toutefois, ce texte n’est pas encore intervenu à ce jour.
La suspension du contrat de travail prend effet 15 jours après que le salarié a notifié sa décision à l’employeur, par lettre recommandée avec avis de réception (article D 3142-59 du code du travail). Le salarié n’est pas rémunéré par l’employeur pendant cette période.
A notre avis : L’employeur ne peut pas s’opposer à la décision du salarié de suspendre son contrat de travail, même si l’intéressé ne lui a pas notifié sa décision par lettre recommandée. Les juges considèrent généralement que les règles de forme prévues par le Code du travail ne conditionnent pas le droit du salarié à congé et ne constituent qu’un élément de preuve en cas de litige avec l’employeur. Les nombreuses décisions en ce sens ont été rendues à propos d’autres congés, mais sont selon nous transposables au congé pour exercice d’un mandat parlementaire.
À l’expiration de son premier mandat, le salarié qui le souhaite peut être réintégré dans l’entreprise. Pour cela, il doit informer l’employeur, dans les 2 mois qui suivent l’expiration de son mandat et par lettre recommandée avec avis de réception, de son intention de reprendre son poste. L’employeur dispose d’un délai de 2 mois à compter de la réception de ce courrier pour réintégrer le salarié (aticles L 3142-84 et D 3142-60 du code du travail). Attention : l’employeur doit veiller à respecter ce délai de 2 mois. À défaut, il peut être condamné à verser au salarié des dommages-intérêts en réparation de son préjudice : ainsi jugé à propos d’un employeur qui a volontairement fait traîner la procédure de réintégration, tentant ainsi de décourager le salarié de reprendre son poste (CA Paris 23-3-2017 n° 15/10429).
A noter : En d’autres termes, l’obligation de l’employeur de réintégrer le salarié ne court qu’à partir du moment où ce dernier se manifeste. Sans nouvelles, l’employeur peut considérer que le contrat de travail reste suspendu. Si toutefois le salarié tarde trop à se manifester, l’employeur peut avoir intérêt à lui adresser un courrier, en recommandé avec avis de réception, lui enjoignant de justifier des raisons de son absence ou de reprendre le travail.
Le salarié retrouve son précédent emploi ou, si celui-ci n’existe plus ou n’est plus vacant, un emploi analogue assorti d’une rémunération équivalente. Une fois réintégré, le salarié bénéficie de tous les avantages acquis par les salariés de sa catégorie durant l’exercice de son mandat. Il bénéficie, si nécessaire, d’une réadaptation professionnelle en cas de changement de techniques ou de méthodes de travail (aticle L 3142-84 du code du travail).
Le salarié ne bénéficie pas d’un droit à réintégration dans les cas suivants (article L 3142-85 du Code du travail) :
– le mandat a été renouvelé, à moins que la durée de la suspension correspondant au premier mandat n’ait été, pour quelque cause que ce soit, inférieure à 5 ans ;
– l’intéressé, titulaire d’un mandat de député, est élu au Sénat (ou inversement).
A noter : Bien que l’article L 3142-85 du Code du travail ne le prévoie pas expressément, il s’en déduit que le contrat de travail du salarié dont le mandat est renouvelé peut être rompu. Si le salarié ne prend pas l’initiative de démissionner, que peut faire l’employeur ? Selon nous, il ne doit pas considérer que le contrat de travail est rompu de plein droit en cas de renouvellement du mandat. Sauf accord avec le salarié, il peut engager une procédure de licenciement — non disciplinaire — en motivant la rupture par l’impossibilité de maintenir le contrat de travail en application de l’article L 3142-85 du Code du travail. À notre connaissance, la jurisprudence ne s’est jamais prononcée sur cette question.
À l’expiration du ou des mandats renouvelés, le salarié bénéficie pendant un an d’une priorité de réembauche dans les emplois auxquels sa qualification lui permet de prétendre (article L 3142-85 du code du travail). Il peut solliciter sa réembauche auprès de l’employeur par lettre recommandée avec avis de réception au plus tard dans les 2 mois qui suivent l’expiration de son mandat (article D 3142-61 du code du travail). En cas de réemploi, l’employeur lui accorde le bénéfice de tous les avantages qu’il avait acquis au moment de son départ (article L 3142-85 du code du travail).
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