Pour la première fois à notre connaissance, la chambre sociale de la Cour de cassation se prononce sur l’action en contestation du licenciement au titre de l’imputabilité de l’inaptitude à l’employeur (Cassation n° 22-19.401).
Dans cette affaire, une salariée, en arrêt de travail à compter du 20 février 2013 et licenciée le 23 décembre 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement à la suite d’une déclaration d’inaptitude établie par le médecin du travail le 5 octobre 2015, avait saisi le conseil de prud’hommes le 18 mai 2016 non seulement d’une demande de dommages-intérêts au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, mais encore d’une demande visant à contester le bien-fondé du licenciement, en soutenant que son inaptitude était consécutive à ce manquement.
En effet, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu’il est démontré que l’inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée (Cassation 17-10-2012 n° 11-18.648 ; Cassation 3-5-2018 n°s 17-10.306 et 16-26.850 ; Cassation 6-7-2022 n° 21-13.387).
Notons que, à la date des faits, le délai de prescription des deux actions était régi par l’article L 1471-1 du Code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, aux termes duquel toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
La cour d’appel avait déclaré les deux actions irrecevables sur le fondement de ce texte, retenant que la salariée avait eu connaissance des manquements qu’elle reprochait à l’employeur à la date de l’arrêt de travail, soit plus de 2 ans avant l’introduction de son action devant le conseil de prud’hommes. La salariée contestait dans son pourvoi l’irrecevabilité prononcée concernant les deux demandes.
A noter : Depuis l’ordonnance précitée, le délai de prescription des actions portant sur la rupture du contrat de travail est réduit à 12 mois.
En principe, le point de départ du délai de prescription d’une telle action correspond à la date à laquelle le salarié a connaissance des manquements de l’employeur. La salariée soutenait que, lorsque le manquement à l’obligation de sécurité est à l’origine d’une inaptitude, le point de départ de la prescription ne peut être que la déclaration d’inaptitude. Elle estimait que c’est seulement à cette date qu’un salarié peut avoir connaissance de l’incidence effective sur son état de santé des agissements de l’employeur.
La Cour de cassation rejette cette argumentation. Reprenant sa jurisprudence quant à l’appréciation souveraine, par les juges du fond, de la connaissance des manquements invoqués (Cassation 24-1-2018 n° 16-27.486 ; Cassation 4-7-2019 n°s 18-19.722 et 18-20.215), elle approuve la cour d’appel d’avoir fixé le point de départ du délai de prescription à la date de l’arrêt de travail de la salariée, le 20 février 2013.
A noter : Aucune règle n’impose aux juges du fond, lorsque le manquement à l’obligation de sécurité est suivi d’une déclaration d’inaptitude, de retenir cette déclaration comme point de départ du délai de prescription et, en l’espèce, les motifs de la cour d’appel retenant que la salariée avait eu connaissance à la date de son arrêt de travail des faits lui permettant d’exercer son action indemnitaire n’étaient pas impropres. Le caractère très factuel des manquements à l’obligation de sécurité susceptibles d’être invoqués exclut en effet en la matière la détermination d’un point de départ général pour le délai de prescription (hormis des hypothèses très spécifiques, notamment dans l’action en réparation du préjudice d’anxiété pour manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité par exposition à des substances toxiques générant un risque élevé de développer des maladies graves, pour lequel le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à ces substances, point de départ qui ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin [Cassation 8-7-2020 n° 18-26.585]).
Concernant l’action en contestation du bien-fondé du licenciement pour inaptitude, la Cour de cassation rappelle sa jurisprudence fixant un point de départ unique du délai de prescription à la date de notification de ce licenciement (Cassation 9-10-2012 n° 11-17.829 ; Cassation 6-11-2019 n° 18-22.874). On rappellera d’ailleurs que, depuis l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, l’article L 1471-1 du Code du travail prévoit expressément en son deuxième alinéa que le point de départ de l’action portant sur la rupture du contrat de travail est la date de la notification de la rupture.
En l’espèce, la chambre sociale en déduit, pour la première fois, que le salarié qui conteste, dans le délai imparti, son licenciement pour inaptitude est recevable à invoquer le moyen selon lequel l’inaptitude est la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Ainsi, le délai de prescription de l’action portant sur le licenciement ayant débuté le 24 décembre 2015, lendemain de la rupture du contrat de travail, l’action engagée par la salariée le 18 mai 2016 était recevable et celle-ci pouvait se prévaloir du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité même si l’action en dommages-intérêts liée à ce manquement était irrecevable.
A noter : La distinction faite entre le point de départ de l’action en responsabilité dirigée contre l’employeur à raison du manquement à son obligation de sécurité et celui de l’action en contestation du bien-fondé du licenciement au titre de ce manquement se situe en réalité dans la continuité de la jurisprudence de la chambre sociale qui s’attache à l’objet de l’action, et non au moyen invoqué à son soutien, pour déterminer le régime de prescription applicable : s’agissant du bien-fondé du licenciement, ce ne sont pas les manquements éventuels de l’employeur qui seraient susceptibles d’en être à l’origine qui doivent être pris en considération pour rechercher le point de départ du délai de prescription, mais bien uniquement la date de notification du licenciement qui est contesté. En ce sens, la décision peut être rapprochée des décisions rendues en matière de prise d’acte de la rupture du contrat de travail (Cassation 27-11-2019 n° 17-31.258) et de résiliation judiciaire (Cassation 30-6-2021 n° 19-18.533 ; Cassation 27-9-2023 n° 21-25.973), qui font primer la date de la rupture (soit, dans le cas de la résiliation judiciaire, la poursuite de la relation de travail) sur toute autre considération – notamment quant aux manquements invoqués à l’appui de la demande – pour la détermination du point de départ du délai de prescription de la contestation de l’imputabilité de la rupture.
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