Dans un arrêt du 11 décembre 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation se prononce à nouveau dans une affaire de licenciement motivé en partie par des propos échangés via un outil professionnel. Dans cette affaire, l’employeur a licencié un salarié pour faute lourde, lui reprochant notamment des propos critiques et dénigrants à l’égard de la direction et des dirigeants tenus dans des SMS envoyés à des collègues et d’anciens collègues à partir d’un téléphone portable professionnel. Le salarié contestait son licenciement en faisant valoir qu’il s’agissait d’échanges privés n’ayant pas vocation à être diffusés et ne pouvaient donc pas être sanctionnés. Si la cour d’appel n’a pas suivi cette argumentation, elle a toutefois écarté l’intention de nuire et requalifié la faute lourde en faute grave.
La Cour de cassation rappelle que les SMS sont présumés avoir un caractère professionnel car ils ont été envoyés par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition pour les besoins de son travail.
Il s’agit ici de la confirmation d’une jurisprudence, rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation après avis demandé à la chambre sociale, à propos de messages écrits reçus ou envoyés par un salarié au moyen d’un téléphone portable professionnel, à moins qu’ils soient identifiés comme personnels. La présomption de leur caractère professionnel confère à l’employeur le droit de les consulter, même en l’absence du salarié, et de les produire en justice (arrêt du 10 février 2015 ; avis de la Cour de cassation du 13 novembre 2014, en pièce jointe). A la condition toutefois que les informations contenues ne relèvent pas de la vie privée du salarié (arrêt du 5 juillet 2011).
La Cour de cassation fait ensuite ressortir des constatations de la cour d’appel que le contenu des messages était en rapport avec l’activité professionnelle du salarié, de sorte qu’ils ne revêtaient pas un caractère privé.
En effet, la cour d’appel a constaté que les propos tenus par le salarié l’avaient été lors d’échanges avec des salariés en poste ou ayant quitté la société concernant des litiges prud’homaux en cours, et qu’il s’agissait de propos critiques de la société et dénigrants à l’égard de ses dirigeants.
Dès lors, indique la Cour de cassation, peu importe que les échanges ne soient pas destinés à être rendus publics, ils pouvaient être retenus au soutien d’une procédure disciplinaire, et ils ont en effet été pris en compte avec d’autres comportements fautifs pour retenir une faute grave.
Il s’agit à première vue d’une application d’une jurisprudence classique (notamment arrêt du 1er juin 2022). Ce qui étonne ici, c’est le contraste avec la solution retenue dans un arrêt récent et publié, qui concernait un directeur général licencié pour avoir envoyé depuis sa messagerie professionnelle, à un de ses subordonnés et à deux personnes extérieures à l’entreprise, des courriels contenant des images et des liens à caractère sexuel. Il s’agissait là pour les juges d’une conversation de nature privée dans un cadre strictement privé sans rapport avec l’activité professionnelle, n’étant pas destinée à être rendue publique et ne constituant pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, qui n’était donc pas susceptible d’être sanctionné (arrêt du 25 septembre 2024).
Si le raisonnement selon lequel le lien des propos avec l’activité professionnelle permet d’exclure leur caractère privé est compréhensible, et en effet, des critiques à l’égard de la direction ne relèvent pas de la vie privée du salarié, celles-ci peuvent sembler sévèrement sanctionnées quand dans le même temps des propos au moins aussi choquants échangés sur une messagerie professionnelle, sans pour autant comporter d’informations personnelles, bénéficient d’une immunité dès lors qu’ils n’ont pas de lien avec l’activité professionnelle.
Relevons enfin que la cour d’appel, dont le raisonnement est validé par la Cour de cassation, retient un exercice abusif de la liberté d’expression du salarié ayant désigné un membre de la société sous une dénomination dénigrante, et ayant répondu à un collègue en désignant le directeur général en des termes homophobes, ces termes étant injurieux et excessifs. Peu importe ici aussi le caractère restreint de la diffusion de ces propos pour la caractérisation de l’abus.
Cette solution n’étonne pas, le caractère restreint de la diffusion de propos excessifs ayant pu être pris en compte pour exclure l’abus seulement en l’absence de caractère injurieux diffamatoire ou excessif des critiques émises envers la direction (par exemple, arrêt du 15 mai 2019).
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