Instituée par la loi 2022-1598 du 21 décembre 2022 dite «Marché du travail» , la présomption de démission lorsqu’un salarié abandonne volontairement son poste est entrée en vigueur avec la publication d’un décret du 17 avril 2023 pris pour son application et immédiatement complété par un «questions-réponses» du ministère du travail.
Des recours en annulation contre le décret ou le questions-réponses ont été déposés devant le Conseil d’État notamment par l’association de chefs d’entreprises Le Cercle Lafay, la confédération FO, le syndicat patronal Alliance plasturgie et composites du futur, l’Unsa et la CGT. Ces organisations reprochaient au nouveau dispositif, en particulier, de fermer la porte au licenciement pour abandon de poste qui permettait aux salariés de bénéficier des allocations chômage.
Dans l’arrêt du 18 décembre 2024 (décision n° 473640), le Conseil d’État rejette ces demandes d’annulation tout en assortissant la mise en demeure de garanties d’information du salarié. Il lève ainsi une partie des incertitudes qui pesaient sur ce nouveau dispositif.
A noter : Le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions légales conformes à la Constitution dès lors qu’elles ne s’appliquent qu’en cas d’abandon de poste volontaire, le salarié ne pouvant être réputé démissionnaire qu’après avoir été mis en demeure, et que la présomption, qui est simple, peut être renversée (Cons. const. 15-12-2022 n° 2022-844 DC).
Avant de présumer le salarié démissionnaire, l’employeur doit l’avoir mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main-propre contre décharge, dans le délai qu’il fixe (C. trav. art. L 1237-1-1, al. 1 et R 1237-13, al. 1). Les requérants considéraient ces dispositions insuffisantes pour garantir le caractère volontaire de l’abandon de poste et estimaient que le décret aurait dû compléter les dispositions légales qu’il mettait en œuvre.
Le Conseil d’État estime que ce défaut de précisions ne rend pas le décret illégal. Il rappelle toutefois que la mise en demeure adressée par l’employeur en application des dispositions sur la présomption de démission a pour objet de s’assurer du caractère volontaire de l’abandon de poste du salarié, en lui permettant de justifier son absence ou de reprendre le travail dans le délai fixé par l’employeur. Dès lors, pour que la démission puisse être présumée, précise le juge administratif, le salarié doit nécessairement être informé, lors de la mise en demeure, des conséquences pouvant résulter de l’absence de reprise du travail sauf motif légitime justifiant son absence.
A noter : On peut s’interroger sur le degré de précision de l’information à donner au salarié : a minima, l’employeur doit indiquer au salarié, dans sa lettre de mise en demeure, qu’à défaut de motif légitime d’absence ou de reprise du travail, il sera présumé démissionnaire, et que son contrat de travail sera rompu à l’expiration du délai qui lui est imparti pour répondre. L’employeur doit-il détailler les conséquences de la démission sur le préavis, ou sur les droits à chômage du salarié par exemple ? Il peut y avoir intérêt, par prudence. Par ailleurs, bien que la procédure prévue dans la fonction publique en cas d’abandon de poste soit différente à plusieurs égards, signalons que le Conseil d’État a indiqué que le fonctionnaire doit être informé dans la mise en demeure du risque de radiation des cadres sans procédure disciplinaire qu’il encourt (CE 11-12-1998 n°s 147511 et 147512 : Lebon p. 474).
Les requérants reprochaient au décret de ne pas faire bénéficier le salarié des garanties de la Convention 158 de l’OIT sur le licenciement, qui ne permet pas de priver un salarié licencié à la fois d’une indemnité de départ et de prestations d’assurance chômage.
Pour rejeter leur argumentation, le Conseil d’État rappelle que le champ d’application de la Convention 158 de l’OIT ne couvre que la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur et non les situations de démission volontaire. Il estime que si c’est bien l’employeur qui débute la procédure par l’envoi d’une mise en demeure, c’est en réalité le salarié, par son absence persistante sans justification, qui est à l’initiative de la rupture de la relation de travail. De plus, il rappelle que les textes prévoient que l’abandon de poste ne peut pas être considéré comme volontaire en cas de motif légitime (exercice du droit de retrait en cas de danger ou du droit de grève, raison médicale, refus d’exécuter une instruction contraire à la réglementation ou d’une modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, notamment), la présomption de démission ne pouvant donc pas jouer dans ces situations.
La durée du délai et son point de départ sont valables
Le délai imparti au salarié pour justifier son absence ou reprendre son poste ne peut pas être inférieur à 15 jours et commence à courir à compter de la date de présentation de la lettre de mise en demeure (C. trav. art. R 1237-13, al. 1). Le Conseil d’État estime qu’en fixant ce délai minimum à 15 jours à compter de la date de présentation de la mise en demeure et non à compter de sa réception, le décret n’est entaché d’aucune illégalité.
Le Conseil d’État indique également que le décret n’avait pas à préciser si une procédure de licenciement pouvait être engagée par l’employeur quand les conditions de la présomption de démission sont remplies, dans la mesure où il ne fait que mettre en œuvre les dispositions relatives à la présomption de démission.
Certains des requérants demandaient également l’annulation du « questions-réponses » ou « Foire aux questions », mis en ligne sur le site internet du ministère du travail le 18 avril 2023, en même temps que la publication du décret. Ce document indiquait notamment que l’employeur qui désire mettre fin à la relation de travail avec le salarié qui a abandonné son poste doit mettre en œuvre la procédure de présomption de démission et qu’il n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute. Le Conseil d’État, considère qu’il n’y a pas lieu à statuer sur cette demande dès lors que le « questions-réponses » a été retiré du site internet du ministère en juin 2023.
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