Parmi les motifs de discrimination listés par l’article L 1132-1 du Code du travail figure la situation de famille. S’il est établi que la famille en question peut s’entendre de celle de la personne discriminée, la Cour de cassation indique, dans un arrêt du 9 avril 2025 (pourvoi n° 23-14.016), pour la première fois à notre connaissance, qu’il peut également s’agir de celle de l’employeur.
En l’espèce, un député employait deux collaboratrices parlementaires, dont l’une était son épouse. Licenciée en raison de la cessation du mandat parlementaire, la seconde saisit le conseil de prud’hommes. Elle s’estime victime d’une discrimination salariale en raison de son défaut d’appartenance à la famille de l’employeur : en effet, sa collègue mariée à l’employeur percevait une rémunération supérieure de 62 % à la sienne, ainsi que de nombreuses primes dont elle était la seule à bénéficier.
A noter : Il ressort de l’arrêt d’appel (CA Lyon 8-3-2023 n° 19/08100) que les bulletins de salaire contenaient la même mention de « collaborateur de député » et que les deux contrats de travail ne prévoyaient pas les fonctions exercées. La requérante, avocate, était diplômée d’un master en droit, avait le statut cadre et effectuait toutes les tâches relatives aux fonctions parlementaires. Au contraire, l’épouse de l’employeur n’avait aucun diplôme ni aucune autre expérience que son activité de collaboratrice parlementaire de son époux, ne disposait pas du statut cadre et voyait ses tâches limitées à des interventions logistiques telles qu’apporter le courrier ou des boissons et victuailles à l’occasion de buffets, ainsi qu’à quelques missions de communication. Elle se définissait d’ailleurs dans les médias davantage comme l’assistante de X, son mari, que celle de X, le député.
En première instance, le conseil de prud’hommes avait débouté la salariée en écartant la discrimination, estimant que le critère de la situation de famille s’applique à la personne qui se dit discriminée et non à l’employeur. À l’inverse, la cour d’appel de Lyon a considéré que la situation de famille peut se définir non seulement par des critères propres à la personne discriminée, mais aussi par comparaison à d’autres situations de famille prises en compte au détriment de la personne discriminée. Elle a déduit du fait que l’employeur justifiait la différence de traitement entre ses deux collaboratrices par le caractère plus politique des fonctions de son épouse, qu’il définissait comme « nombreuses, variées, sensibles et exigeant une disponibilité et une confidentialité totales », que celui-ci faisait reposer la garantie de disponibilité et de confidentialité sur la seule qualité d’épouse de sa seconde collaboratrice. Les juges ont donc considéré que c’est par un critère familial, en l’espèce celui de ne pas appartenir à son cercle familial, que l’employeur justifiait la différence de traitement.
À l’appui de son pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel, l’employeur soutient que ce critère familial ne vise que la situation du salarié discriminé et ne concerne pas la situation familiale de l’employeur. En vain. La Cour de cassation, après avoir rappelé les dispositions de l’article L 1132-1 du Code du travail, indique que le défaut d’appartenance du salarié à la famille de son employeur, en ce qu’il constitue le motif d’un traitement moins favorable, relève du champ d’application de ce texte.
La Cour de cassation précise que cette solution s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence européenne. En effet, selon cette dernière, le principe de l’égalité de traitement consacré par les directives ne s’applique pas à une catégorie de personnes déterminées, mais en fonction des motifs prohibés visés par le directives en matière de discrimination (CJCE 17-7-2008 aff. 303/06 s’agissant de la directive 2000/78/CE du 27-11-2000 ; CJCE 16-7-2015 aff. 83-14 à propos de la directive 2000/43/CE du 29-6-2000).
A noter : Il suffit donc, pour que la discrimination soit caractérisée, que la personne victime du traitement défavorable l’ait été en fonction d’un des motifs de discrimination prohibés, peu important qu’elle soit elle-même concernée par ce motif ou non. Ainsi, dans l’arrêt du 17 juillet 2008 précité (aff. 303/06), la CJCE avait reconnu la discrimination « par ricochet » ou « par association » . L’affaire concernait une salariée qui avait subi un traitement défavorable en raison du handicap de son fils. Les juges avaient donné raison à la salariée, alors qu’elle n’était pas elle-même handicapée, considérant que les textes ont vocation à prohiber les discriminations sous toutes leurs formes. De même, en droit français, les tribunaux ont jugé que revêt un caractère discriminatoire le licenciement d’une salariée en raison du mandat syndical dont son compagnon est investi dans la même entreprise (C. prud’h. Caen 25-11-2008 no 06-120 : RJS 12/09 no 134). Autrement dit, en matière de discrimination, seul compte le fait que le motif soit le levier de l’agissement incriminé. Ainsi, la CJUE a jugé que la discrimination peut être reconnue en l’absence de victime identifiable, par exemple lorsque l’employeur déclare publiquement qu’il ne recrutera pas de salariés étrangers (CJCE 10-7-2008 aff. 54/07) ou qu’il ne veut pas recruter certaines personnes en raison de leur orientation sexuelle (CJUE 23-4-2020 aff. 507/18).

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