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L’Assemblée nationale a adopté, le 12 novembre, l’amendement du gouvernement décalant la réforme des retraites. En quoi cette suspension est-elle problématique ?

Vincent Lebailly : Rien n’est encore joué car le texte doit encore être examiné au Sénat à partir du 19 novembre, mais cette disposition suscite déjà de vives inquiétudes. Derrière le terme « suspension » se cache en réalité une période d’instabilité profonde. Tous les dispositifs de fin de carrière – cessations anticipées, temps partiels seniors, retraites progressives – avaient été calibrés sur les règles de la réforme Borne de 2023. Leur gel contraint aujourd’hui les directions des ressources humaines à recalculer, renégocier et réexpliquer, parfois dans l’urgence.

Cette mesure génère également de l’incertitude pour les salariés qui ne savent plus à quelle date ils pourront partir à la retraite et n’auront pas le temps d’anticiper cette transition. Cela se traduit par un réel inconfort.

Quels sont les impacts concrets pour les entreprises ?

Cette suspension signifie pour ces salariés une baisse de revenus plus précoce que prévu

Manon Carlési : Cette suspension peut créer un effet d’aubaine pour certains salariés nés entre 1962 et 1968, qui pourront partir à la retraite un ou deux trimestres avant l’âge légal prévu par la réforme Borne. Selon l’amendement gouvernemental, la première génération à atteindre l’âge légal de départ à 64 ans serait celle née en 1969.

Mais parallèlement, cette suspension signifie pour ces salariés la réduction de la durée d’application de dispositifs négociés et donc une baisse de revenus plus précoce que prévu. Outre la perte de salaire, ils perdent aussi leurs avantages sociaux : aides du comité social et économique, de la mutuelle et leur épargne salariale. Prenons l’exemple d’une personne en retraite progressive qui travaille à 80 % du temps de travail : elle perçoit 90 % de son salaire. A la retraite, le taux de remplacement est bien plus faible : un cadre touche entre 70 % et 75 % de sa rémunération antérieure nette, un non-cadre entre 80 % et 83 %.

Les entreprises doivent-elles renégocier leurs accords seniors ?

Une renégociation est prématurée tant que le projet de loi n’est pas définitivement adopté

Manon Carlési : Une renégociation est prématurée tant que le projet de loi n’est pas définitivement adopté. Mais les entreprises doivent avoir conscience des impacts potentiels. Beaucoup avaient heureusement intégré des clauses de révision dans leurs accords pour anticiper un changement législatif. Soit il est clairement indiqué que les salariés pourront partir plus tôt en fonction de leur nouvelle date de départ à la retraite, soit une nouvelle négociation avec les syndicats est prévue. Ces derniers sont d’ailleurs partants pour rediscuter, même si nous manquons encore de recul sur la mise en œuvre concrète.

Plusieurs options s’offrent aux DRH : revoir les dispositifs ou les maintenir au-delà de la date de taux plein. Mais tout dépendra des budgets disponibles. Une entreprise peut aussi décider que cette suspension lui permet de réaliser des économies, les départs intervenant plus tôt.

Quelles sont les autres conséquences pour les employeurs ?

Manon Carlési : Ils devront recruter plus tôt pour remplacer les départs. Ils disposent toutefois d’un certain répit : la réforme ne sera applicable qu’à partir de septembre 2026. Cela leur laisse 10 mois pour anticiper les départs. C’est une bouffée d’oxygène et une bonne nouvelle dans l’instabilité actuelle.

Et pour les femmes, quelles sont les conséquences ?

Le texte prévoit que deux trimestres de majoration de durée d’assurance, sur les huit habituellement accordés au titre de la maternité, seront pris en compte pour le calcul des carrières longues

Manon Carlési : Outre le calcul sur les 23 ou 24 meilleures années en fonction du nombre d’enfants, au lieu des 25 meilleures années, une autre disposition est passée davantage inaperçue : le texte prévoit que deux trimestres de majoration de durée d’assurance, sur les huit habituellement accordés au titre de la maternité, seront pris en compte pour le calcul des carrières longues. C’est une vraie avancée. Cette mesure, inscrite à l’article 45 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, permettra à beaucoup plus de mères de basculer dans le dispositif des carrières longues.

Justement, l’amendement modifie le dispositif des carrières longues. Quels sont les changements ?

Manon Carlési : En l’état, le texte manque cruellement de précisions. Nous ne savons pas exactement quelles générations seront éligibles à cette nouvelle mesure. Il faudra attendre car les décrets d’application font défaut. Les personnes nées en 1965 gagneraient un trimestre supplémentaire, mais nous ne parvenons pas à déterminer s’il s’agit d’un gain par rapport aux carrières classiques – qui bénéficient déjà d’un trimestre – ou si c’est la même durée d’assurance. Les carrières longues conserveront-elles des durées d’assurance différentes des carrières classiques ? Nous n’avons pas de vision claire pour l’instant.

Vous évoquez la nécessité d’introduire une dose de capitalisation dans le système des retraites. Pourquoi ?

Dans ces NAO, on peut combiner hausse de salaire et petite brique de capitalisation 

Vincent Lebailly : Cette réforme ne va pas forcément améliorer le budget des retraites – on parle de cinq à six milliards d’euros supplémentaires si l’on inclut les carrières longues. C’est pourquoi il nous semble nécessaire d’introduire une dose de capitalisation via l’épargne retraite d’entreprise. Nous conseillons à nos clients d’entreprendre potentiellement une telle démarche au cours des prochaines négociations annuelles obligatoires.

Les avantages sont évidents : un plan d’épargne retraite obligatoire est exonéré de charges patronales, le forfait social est à 16 %, et pour le salarié déductibles de l’impôt sur le revenu. Ce n’est pas négligeable. Dans ces négociations, on peut combiner hausse de salaire et petite brique de capitalisation.

Nous constatons que le taux d’équipement des PME est de 10 à 12 %, contre 40 % pour les entreprises de taille intermédiaire. Nous accompagnons de plus en plus de PME, pas forcément avec des taux très élevés. La retraite devient un enjeu important pour les entreprises de moins de 250 salariés. On commence souvent par les cadres, mais de plus en plus, on couvre l’ensemble des salariés avec des cotisations différenciées. C’est un véritable levier d’attractivité pour les PME, à l’image des entreprises de la tech américaine. La loi Pacte a permis de booster ces dispositifs.

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Anne Bariet
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Manon Carlési et Vincent Lebailly, respectivement co-responsable de l’offre transition emploi-retraite et directeur épargne entreprises chez Mercer France, analysent les conséquences de l’amendement gouvernemental qui décale la réforme des retraites de 2023. Pour ces experts, cette suspension crée une zone d’incertitude majeure.

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